La montre Sistem51 que Swatch avait annoncé lors du BaselWorld 2013, n’est sortie des chaînes automatisées de production qu’à la veille des fêtes de Noël. Les premières Sistem51 ont été commercialisées dans une boutique éphémère ouverte pour l’occasion à Zürich. Europa Star s’en est aussitôt procuré quelques unes (150.- CHF pièce) afin de mieux comprendre cette montre tout à fait étonnante.
- Sistem51 by Swatch
La Sistem51 doit son nom au nombre de composants de son mouvement automatique. La caractéristique la plus étonnante est que, parmi ces 51 composants, on ne trouve qu’une seule vis! Alors que d’ordinaire, il faudrait en compter au minimum une trentaine.
Autre caractéristique, la production, le montage et le réglage des Sistem51 est intégralement automatisé, sans intervention humaine. En dehors de ces quelques éléments, Swatch n’a fourni que très peu d’informations. Nous voulions en savoir plus, comprendre comment était construit ce mouvement, tester ses performances.
Pour ce faire, nous avons demandé à l’expert horloger genevois Denis Asch (www.heure-asch.com) de bien vouloir se plier à l’exercice. Ensemble, nous avons ouvert la Sistem51.
Tests
Mais avant de l’ouvrir, Denis Asch l’a portée quelque temps et l’a soumise à différents tests.
Premiers tests, l’étanchéité. Résultat, la Sistem51 est parfaitement étanche, que ce soit sous pression ou hors pression.
Ensuite, la Sistem51 a subi toute une série de test de marche: après 1er remontage, après 24 h de porter, après 24 h de repos, après 72 h de repos, après remontage à fond et attente de 30 minutes.
Premier constat: la montre s’arrête après 93 heures de marche, ce qui est beaucoup pour une montre automatique.
Second constat: son amplitude est bonne, variant entre 344° et 257° (après 72h de repos). Par contre, son Delta (qui donne la fourchette de ses écarts de marche positifs et négatifs) est médiocre. La montre testée affichait un Delta de 18.4 sec après son premier remontage (soit -6,1 + 12.3 secondes/jour), et ± 36 après 72 h de repos (- 6.9 + 29.1 secondes/jour). Mais, surprise, une autre Sistem51 testée, portée sans interruption depuis un mois, affichait un bien meilleur résultat, “presque de la chronométrie”, dixit Denis Asch, avec un Delta de 8 (-4 + 4 secondes/jour).
Pourtant achetée le même jour au même endroit, aux premières heures de la vente, ces deux Sistem51 devraient en toute logique appartenir au même lot. Problème de réglage des robots/régleurs? “A priori, il semblerait que l’automatisation ne garantisse pas une constance de qualité de réglage…”, remarque Denis Asch. “On voit les limites de la machine dans ce domaine du réglage si sensible, qui tient à tant de micro-détails, à de fins équilibres qui ont souvent à voir avec la qualité du regard humain, de l’expérience”, précise celui qui, en tant qu’horloger, a été quelques années à la rude école de Rolex. “Mais ceci dit, ces résultats sont plus qu’honorables. Swatch a toujours offert le meilleur rapport fiabilité / qualité / prix existant, Rolex étant un cas à part.”
Autopsie
Après ces premiers constats, nous voici à pied d’œuvre pour ouvrir cette Sistem51 et voir un peu ce qu’elle a dans le ventre. On commence par ôter le bracelet à goupilles, tout ce qu’il y a de plus classique chez Swatch (le bracelet peut donc être inter-changé facilement avec un autre). Il est souple, dans une matière proche du caoutchouc, agréable au porter et, petit détail très “chic” est véritablement surpiqué de fil de couleur.
Mais les premiers déboires arrivent avec nos tentatives d’ouvrir cette boîte qui n’a jamais été faite pour ça (la Sistem51 n’est pas réparable: “’aurait coûté beaucoup plus cher…”, précise Denis Asch). On tente d’abord par le fond car il nous semble avoir repéré un petit ergot. En vain. Une demie heure plus tard, on n’a toujours pas réussi (sauf à sérieusement abimer le fond) et Denis Asch s’est même planté un tournevis dans le doigt. Il faut aller chercher un pansement.
On attaque par dessus et là, seule solution, il nous faut briser la lunette, qui semble collée, pour dégager le verre – plastique – ôter les aiguilles, dégager, à la pince, la couronne (dont la tige n’est pas vissée mais directement sertie dans la tête de couronne) pour pouvoir enfin ôter le cadran (une rondelle en plastique).
Ce cadran est dépourvu de pieds, et il est chassé dans le pourtour du boîtier. Dessous, on découvre le disque de quantième et, ce qui “bluffe” immédiatement notre horloger est effectivement l’absence de toute vis. La roue de minuterie est visible (à 9h) et détail qui démontre l’ingéniosité radicale de l’ingénierie de la pièce, elle est simplement maintenue en place par de petits ergots métalliques qui font partie intégrante de la plaque qui recouvre le centre du cadran.
Il nous faut maintenant retourner la montre pour pouvoir dégager le mouvement.
La masse oscillante est un disque de plastique qui ne remonte que dans un sens et semble assez libre. Elle tient au centre, sur un roulement à billes qui vient se clipser sur la tête de LA vis centrale. On parvient à la dégager. La “masse”, si on peut l’appeler ainsi, se voit au dos: du plastique noir, plus dense, qui fait office de poids.
Le mouvement lui-même, percé sur son pourtour de petits orifices tient en position grâce à des tétons de plastique dans lequel il vient se loger. Enfin nous avons accès à cette fameuse et unique vis. Elle est très courte et, une fois dévissée, nous permet de dégager toute la partie automatique. Mais un doute nous assaille: cette fameuse vis ne servirait-elle par uniquement à tenir l’axe du roulement à billes de la masse oscillante? Car tout le reste semble soudé.
On ôte ensuite le pont du balancier, le coq – une pièce également en plastique – puis le pont d’échappement pour avoir accès à l’échappement et à la roue d’échappement. A ce stade, Denis Asch fait des yeux ronds. Il n’en revient pas: tout l’ancre est en plastique, palettes incluses “C’est ça, la véritable prouesse, s’exclame-t-il, car c’est là que se fait le réglage! Ça, c’est du jamais vu! Et dans ce plastique, les axes sont métalliques, qui plus est!”
- De gauche à droite et de haut en bas: la vis, le roulement à billes de la masse, deux petits rouages pour la masse, un ressort, un premier pont, les mobiles de réduction et inverseurs de la masse pour remontage du barillet, le pont d’échappement (coq), l’échappement, la roue d’échappement.
Nous ôtons ensuite le pont de rouage et découvrons le deuxième étage du mouvement. Le barillet est de grande dimension (ce qui explique les quelques 90 heures de réserve de marche). Contrairement aux barillets traditionnels, pourvus deux axes, celui-ci est percé en son centre et vient tourner sur un axe fixé sur la platine. “C’est à tous ces détails qu’on comprend comment, à force de simplification, d’optimisation, les ingénieurs de Swatch sont parvenus à réduire aussi drastiquement le nombre de composants”, commente Denis Asch.
Nous nous attaquons au train de rouage. Pour y parvenir, il faut parvenir à dégager le pont de rouage de minuterie (à 3h) qui maintient le système de minuterie et la tirette permettant de positionner les différentes fonctions commandées par la couronne. Mais ce pont de minuterie, en plastique, est récalcitrant et ne veut pas se laisser démonter. C’est une des pièces les plus complexes de l’ensemble et toute une série de petits composants sont comme imbriqués à l’intérieur. Denis Asch tente d’en percer quelques secrets: “C’est très malin, très intelligent”, s’exclame-t-il, loupe à l’œil. Les fonctions sont regroupées au maximum dans l’optique de réduire à tout prix le nombre de pièces. Du coup certains éléments sont montés à l’envers de la pratique commune."
Nous n’avons pas d’autres alternatives que de casser ce pont pour pouvoir le sortir. Voilà qui est fait et que nous pouvons compter les pièces du système de minuterie.
Le balancier-spiral est quant à lui directement chassé non pas dans la platine mais dans une pièce métallique, sorte de sous-pont logé sur la platine. Explication? Sans doute est-ce pour pouvoir régler les balanciers-spiraux indépendamment dans la chaîne de production, puis venir le poser simplement dans son logement, sans plus y toucher (ou plus exactement, sans que le robot n’ait plus à y toucher).
“Ce qui m’impressionne”, s’exclame Denis Asch, c’est de parvenir à une aussi bonne précision alors que le piton est chassé directement dans la platine! Et regardez comment est équilibré le balancier: des coups de fraise, bien visibles à l’œil nu."
Même constat d’ingéniosité “réductrice”, quand nous ôtons la roue de moyenne et le dernier pont: "Tout est imbriqué dans le sens contraire, explique Denis Asch, la logique est inversée par rapport à un mouvement traditionnel.
On retourne alors le mouvement et, en dégageant assez facilement le pont côté minuterie, on a directement accès aux roues qui maintiennent les aiguilles, au système de changement de date et au réglage du quantième. En tout, 6 pièces et un cercle de plastique sur lequel les chiffres du quantième sont sérigraphiés.
Voilà. C’est fait. Notre horloger n’en revient pas: "C’est un miracle que ça marche, chapeau…..!.
Nous disposons les 51 pièces pour la photo-souvenir. C’était une Sistem51. Il sera à jamais impossible de la remonter.
Source: Europa Star April - May 2014 Magazine Issue