Fondée en 1755, Vacheron Constantin a traversé bien des événements durant son histoire séculaire: Révolution française, épopée napoléonienne, révolution industrielle, première guerre mondiale, crise de 1929, deuxième guerre mondiale.... Ce serait certainement inexact de dire qu’elle les a tous traversés sans la moindre encombre, mais le fait est que, plus de 250 ans après sa fondation, Vacheron Constantin a non seulement jamais cessé sa production mais est aujourd’hui une marque plus vivante et plus forte que jamais. Et ceci grâce à une qualité rare: une absolue constance dans son exercice de l’art horloger. Mais l’horlogerie est-elle un art?

A la différence des autres activités humaines, l’art ne connaît pas de progrès, seulement des transformations. Autrement dit, une peinture de la grotte de Lascaux ou une statue grecque n’est ni “mieux” ni “moins bien” qu’un Picasso. C’est, toutes proportions gardées, ce que représente Vacheron Constantin pour l’art horloger: une Vacheron Constantin d’aujourd’hui n’est ni “mieux” ni “moins bien” qu’une Vacheron Constantin du XVIIIème siècle. Toutes deux sont le fruit d’une accumulation prodigieuse d’expertise horlogère et font partie d’une même longue histoire. Et si, durant cette histoire, les techniques elles-mêmes ont bel et bien connu des progrès, l’art horloger qui a présidé à leur naissance repose sur les mêmes piliers: la maîtrise des techniques de l’époque, l’excellence esthétique au service de l’élégance des produits, quelle que soit la mode dominante, et la part déterminante toujours prise par les Métiers d’Art et par l’artisanat. C’est ainsi qu’au cours des siècles s’est constitué un héritage propre à la manufacture, un héritage qui cherche à perpétuer, sans solution de continuité, une forme d’excellence horlogère.

Le tourbillon, traditionnellement pourvu d’une cage en forme de Croix de Malte, emblème de la maison, effectue un tour sur lui-même par minute. Tenant lieu de petite seconde, il est situé à 6h. Le quantième perpétuel affiche le jour de la semaine à 9h, le mois à 12h et la date à 3h. Quant à l’indicateur d’année bissextile, il est discrètement positionné à 1h. L’affichage du lever du soleil est à 8h et celui du coucher du soleil à 4h, tandis que l’équation du temps s’affiche au moyen d’une courte aiguille située à 10h30.

Cette tradition d’excellence horlogère basée sur l’aplomb technique et la maîtrise esthétique va s’exprimer de différentes façons, de l’apparemment plus simple et plus dépouillé – on pense ici aux calibres extra-plats dont la manufacture s’est fait une spécialité (qu’ Europa Star a présenté dans son numéro 6.09) – aux mouvements les plus complexes, comme le démontrent deux des plus récents calibres créés par Vacheron Constantin pour sa collection Patrimony Traditionnelle: les calibres 2253 et 2755. Mais qu’elle soit dotée de deux seules aiguilles ou d’une multiplicité de fonctions astronomiques, une Vacheron Constantin sera toujours l’expression d’une seule et même façon d’aborder l’art horloger: à la recherche de quelque chose d’intemporel qui exemplifie et magnifie la seule fonction de garde-temps.

A titre de démonstration, prenons donc pour exemples les plus récentes propositions de Vacheron Constantin: la Collection Patrimony Traditionnelle Excellence Platine et la Collection Métiers d’Art – La symbolique des laques.

Horlogerie astronomique

Lors du dernier SIHH, Vacheron Constantin a présenté trois modèles Patrimony Traditionnelle à haute complication, tous taillés dans le platine, d’où son nom de Collection Excellence Platine. Trois nouveaux calibres animent ces garde-temps: le Calibre 2253, un tourbillon QP à indications astronomiques, le Calibre 2755, un tourbillon QP à répétition minutes, et le Calibre 1141QP, un QP chronographe manuel. Toutes trois mériteraient d’être minutieusement disséquées mais, à titre d’exemple détaillons un peu la montre la plus complexe de toutes, la Patrimony Traditionnelle “Calibre 2253”. Somme de savoirs cumulés, c’est une montre à tourbillon qui affiche quantième perpétuel, équation du temps et indication des heures du lever et du coucher du soleil. Un garde-temps astronomique donc qui, par ailleurs, dispose d’une réserve de marche peu commune, voire unique, de 336 heures, soit 14 jours, atteinte grâce à quatre barillets assemblés par couple et dont l’indication est visible à travers le fond saphir du boîtier.

CALIBRE 2253

Développé à partir du calibre 2250 qui équipait la montre Saint-Gervais que Vacheron Constantin avait présentée en 2005 pour ses 250 ans, le calibre 2253 a nécessité quelques milliers d’heures de développement. Attardons-nous un instant sur une des indications les plus complexes et captivantes de ce calibre, l’équation du temps. Cette fonction permet de calculer l’écart en minutes entre l’heure légale et universelle et l’heure “vraie”, l’heure solaire. Cette heure “vraie” varie tout au long de l’année du fait de l’orbite elliptique de la Terre autour du soleil. Ainsi le midi solaire et le midi légal ne concordent que quatre fois par an: les 15 avril, 14 juin, 1er septembre et 24 décembre. Tous les autres jours, le soleil est soit en avance soit en retard de quelques minutes sur le midi légal (entre -16 et +16 minutes). L’équation du temps indique précisément cette différence, jour après jour. Pour parvenir à mettre en oeuvre cette complication (mise au point pour la première fois au XVIIème siècle par le célèbre Nikolaus Mercator) il faut avoir recours à une “came d’équation”. Cette petite pièce métallique dont le profil est en forme d’analemme (cf illustration ci-dessous) tourne sur elle-même une fois en un an et de sa précision dépendra l’exactitude de l’indication du midi “vrai”.

Photo-montage illustrant une figure d’analemme dans le ciel. Cette figure deviendrait visible si l’on photographiait le soleil à midi tous les jours à partir du même point. (Photo Jailbird)

Autre indication astronomique de ce calibre, l’heure du lever et du coucher du soleil. Ici aussi, cette indication est fournie par une came mais la forme de celle-ci est à chaque fois unique car elle dépend de la longitude et de la latitude d’un lieu précis. Cette étonnante complication ne peut donc être calculée et réalisée que sur mesure, en fonction du choix du client pour tel ou tel lieu.

Haut degré de finition artisanale

Pour être pleinement aboutie, cette compétence astronomique doit se doubler d’un degré de finition artisanale qui soit à la hauteur. Entièrement façonnées dans du platine (carrure, couronne, cadran, aiguilles, fermoir voire, comble du raffinement, fil de platine mélangé à du fil de soie pour la couture des bracelets alligator bleu nuit qui équipent cette collection), un métal précieux pur à 95%, trente fois plus rare que l’or et d’une densité et d’un poids supérieurs, les montres de la Collection Excellence Platine, estampillées Poinçon de Genève, ont un degré de finition qui ne prête pas à discussion: cadran argenté sablé avec compteurs azurés, zones satinées circulaires, filets diamantés, index et Croix de Malte en or gris 18 carats; et pour le mouvement, décorations alternant Côtes de Genève, perlage, anglages main, étirage des aciers, berçage des barrettes de la cage de tourbillon (il faut compter 11 heures uniquement pour cette opération artisanale).

Métiers d’Art et civilisations

Si la collection Excellence Platine cherche à exemplifier la maîtrise horlogère, la collection Métiers d’Art cherche, de la même façon mais en l’exprimant tout différemment, à offrir successivement à chaque Métier d’Art un écrin horloger où il puisse exceller. Après l’art de l’émail grand feu célébré en 2004 par la collection Hommage aux Grands Explorateurs, ce fut au tour de la gravure, en 2007, avec la sortie du premier coffret de l’extraordinaire collection Les Masques, conçue, et ce n’est pas un hasard, avec le Musée Barbier-Mueller.

Ce n’est pas un hasard car la profondeur de toute véritable démarche esthétique et artistique dépend aussi de la richesse du fond culturel sur lequel elle s’appuie et qu’elle cherche à célébrer voir à transcender. Ainsi en allait-il avec les masques venus de civilisations du monde entier et, pour certains, de la nuit des temps, ainsi en va-t-il aujourd’hui avec la Collection Métiers d’Art – La symbolique des laques, qui s’appuie sur l’immémoriale tradition japonaise du maki-e.

Sitaji, sumitogi et okime

Maki-e et fun maki

Le maki-e est un art spécifique de la laque japonaise, développé au cours de la longue histoire de l’archipel et parvenu à pleine maturité entre le VIIIème siècle et le XIIème siècle. C’est une pratique très sophistiquée qui consiste à tracer des motifs en saupoudrant de la poussière d’or et d’argent sur de la laque encore humide (et pas n’importe quelle laque, de la Rhus verniciflua, soit urushi en japonais).

Echanges culturels

Vacheron Constantin, dont les liens avec le Japon remontent aux toutes premières années 1800, s’est approchée de l’auguste maison Zôhiko, dont la fondation remonte quant à elle à 1661. Proche de la maison impériale, Zôhiko pratique depuis lors sans discontinuer l’art raffiné et d’une grande complexité du maki-e. Et à l’image de ce que Vacheron Constantin cherche à faire avec son héritage, Zôhiko est une maison aussi enracinée dans une tradition artisanale puissante qu’ouverte au monde, une maison qui cultive la continuité mais recherche toujours à renouveler son art et ses pratiques. De cette rencontre entre deux maisons qui ne sont donc pas sans similitudes est née une étonnante collaboration – “d’une intensité extraordinaire, une véritable aventure humaine, un voyage, une découverte”, affirme-t-on même chez Vacheron Constantin. Nous ne pouvons pas, hélas, détailler ici l’extraordinaire histoire du maki-e et le détail de ses techniques (pour en savoir plus à ce sujet, lire www.europastar.com/premiere/). Mais nous pouvons admirer le fruit de cette “aventure” partagée.

Harmonie entre laque et mouvement

Ce qui frappe de prime abord quand l’on a entre ses mains une montre de la collection La symbolique des laques, c’est la façon dont horlogerie et maki-e se partagent l’espace en laissant et à l’une et à l’autre tout leur propre pouvoir expressif. Au centre du cadran, on découvre le calibre extra-plat 1003 version squelette en or 14 carats, traité spécifiquement ruthénium afin d’atténuer quelque peu l’éclat de l’or et de l’harmoniser avec le travail du maki-e. Dans le même esprit, les deux aiguilles du mouvement restent confinées au centre, sans empiéter sur l’espace circulaire où se déploie le motif décoratif de la pièce. Dérivé du monde animal, végétal ou minéral, ce motif puise dans le réservoir symbolique extrême-oriental et en s’associant et en se combinant avec un autre motif inscrit au dos de la pièce dans une semblable configuration (dos du mouvement squeletté visible sous verre saphir au centre du cadran décoré), ouvre sur des sens multiples, des combinaisons symboliques à la croisée de la littérature, de la poésie, du monde légendaire, de celui des figures héroïques ou divines.

Le premier coffret de trois montres qui vient de sortir (la collection se déploiera durant trois ans, avec au total trois coffrets de trois motifs chacun, soit neuf motifs au total, édités chacun à vingt exemplaires, soit au total soixante coffrets) se décline sur le thème de la longévité en réunissant “les trois amis de l’hiver” que sont le pin, le bambou et le prunier, arbres dont la résistance aux grands froids en a fait le symbole de la longévité et de la loyauté amicale. Chacun de ces “trois amis” est traditionnellement associé à un animal: le pin, qui vieillit si bien, à la blancheur de la grue (mais la légende dit qu’après ses 2’000 ans d’âge son plumage devient noir), le bambou qui se plie sous la neige ou le vent et se redresse avec tant de vitalité à l’hyperactif moineau, et le prunier dont la précocité annonce le printemps au rossignol porteur du même message. Dans la culture japonaise, ces associations ont donné lieu à de multiples expressions, que ce soit dans la peinture du bouddhisme zen, dans l’art si concis du haïku, dans les mythes et les coutumes.

Cette étroite association artistique, artisanale et culturelle entre deux pratiques offre de son côté à Vacheron Constantin un espace d’expression riche et profond en analogies multiples qui met pleinement en valeur le subtil travail de ses horlogers. Maki-e et horlogerie se répondent harmonieusement dans un véritable dialogue esthétique et technique entre cultures et civilisations. Temps “occidental” et art “oriental” se fondent dans une “même laque”.