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Ces jeunes Français qui se lancent avec passion dans l’horlogerie

October 2010



Qui a dit que la France ne formait plus d’horlogers ? Le Lycée technique Diderot, à Paris, apporte la preuve du contraire. Destination privilégiée des diplômés : la Suisse.

« Madame, Monsieur, je suis actuellement lycéen au lycée Diderot en 2e année de CAP (apprentissage). Si cela ne vous dérange pas de me prendre pour un stage dans votre atelier du 12/03/09 au 10/04/09, je me ferai une joie d’être votre apprenti pendant ce laps de temps. J’espère que ma candidature retiendra votre attention et je me tiens à votre disposition pour un entretien. » L’auteur de cette lettre est encore un adolescent. Il a 17 ans et se prépare au métier d’horloger. Comme tout jeune Français suivant une formation académique, il a l’obligation de trouver des stages en entreprise durant ses années d’apprentissage. La France, qu’on se le dise, continue de former des horlogers. A Paris et dans cinq autres villes. Des esprits chagrins s’imaginaient que la potence à chasser des pierres, la lime, le burin, la pince brucelles, l’estrapade et bien d’autres outils dignes de figurer dans la boîte magique d’Harry Potter, que l’art de brunir les pivots, geste rébarbatif mais hautement minutieux, avaient disparu du savoir horloger enseigné dans l’Hexagone. Il n’en est rien. Mieux : l’apprentissage, dans ce domaine, est en plein développement.

Ces jeunes Français qui se lancent avec passion dans l'horlogerie

Il y a quatre ans, le lycée technique Diderot, situé dans le 19e arrondissement de Paris, a relancé la machine. « La région Ile-de-France et la Ville de Paris ont investi pas mal d’argent », explique Gilbert Derrien, chef de travaux, et à ce titre, responsable des enseignements professionnels délivrés par cet établissement à l’architecture futuriste, blanc et long comme un paquebot. « Quatre ateliers d’horlogerie répondant aux exigences d’aujourd’hui ont été ouverts. Nous avons fait des sols unis de façon à repérer les pièces minuscules lorsqu’elles y tombent, et un peu mous, pour amortir les chocs. Nous avons installé un éclairage de qualité. Nous avons changé de vieux établis datant des années 30 par des nouveaux, une soixantaine, réglables électriquement en hauteur, pour éviter d’avoir à se pencher sur l’ouvrage. Nous avons introduit la conception assistée par ordinateur… » C’est tout un métier qui renaît de ses cendres. Le lycée technique Diderot, dans sa branche « horlogerie », prépare au CAP, qui dure deux ans, et à un diplôme du baccalauréat, qui en compte deux de plus, appelé désormais « brevet des métiers d’art » (BMA) – dénomination un brin ronflante, censée rehausser la valeur et le prestige de la formation aux yeux des employeurs. Le CAP (certificat d’aptitude professionnelle) délivre les connaissances fondamentales quant au fonctionnement des réveils, des grosses pièces, des horloges et des montres. Celui qui sort muni d’un CAP fera un bon réparateur.

80% des diplômés partent en Suisse « Les débouchés, ici, sont plutôt à chercher dans les grandes surfaces, comme Leclerc ou Auchan, ou chez un petit horloger, expose Gilbert Derrien. Avec un BMA, qui forme à la réalisation de petites pièces, un peu haut de gamme, on peut aller chercher du travail ailleurs. » « Ailleurs », c’est en Suisse, dans les montagnes jurassiennes, sorte de Dubaï forestier. 80% des titulaires d’un BMA décerné par le lycée Diderot vont se faire embaucher par des entreprises helvétiques. Certaines, comme Breguet ou Jaeger-Lecoultre, ont des partenariats avec l’établissement parisiens. La Vallée de Joux est particulièrement preneuse, même si, en ce moment, à cause de la crise économique, ça bloque un peu. Après le périph parisien, Le Sentier : quel changement !

Ces jeunes Français qui se lancent avec passion dans l'horlogerie

Temps de l’horloger et temps du marché « Le lycée Diderot ne forme pas assez d’horlogers, déplore Gilbert Derrien. Or il a les moyens matériels d’en former plus. Notre idée, et le rectorat a donné son accord, est d’arriver à un taux de 80% de diplômés. » Le chef de travaux sait qu’il énonce une hérésie. Le temps de l’horloger n’est pas celui du marché. « Parmi nos quatre professeurs, certains, les anciens, ont une approche traditionnelle de la formation. Leur tendance est de dire qu’un apprenti qui ne maîtrise pas parfaitement tous les gestes manuels de l’horloger n’est pas apte au métier. Mais aujourd’hui, une part importante du travail se fait par conception assistée par ordinateur. » Les plans de Gilbert Derrien ne font pas qu’obéir à une logique de marché. Il convient aussi d’honorer l’investissement consenti par les pouvoirs publics dans la modernisation des ateliers d’horlogerie du lycée Diderot. Or, plus la formation est réputée difficile, plus elle décourage les jeunes de s’engager dans la voie horlogère. Cela explique en partie que seuls sept élèves suivent les cours de première année du BMA quand la classe pourrait en accueillir quinze. Il va falloir vous adapter aux impératifs du moment, Messieurs les professeurs ! Bernard Gadret est l’un d’eux. Il nous accueille gentiment dans son cours, celui des premières du BMA, justement. Comme tous ses collègues, il porte une blouse blanche pareille à celle des instituteurs d’autrefois. Pas un murmure dans l’atelier, mais un grand « bonjour » respectueux des élèves – on est si loin du brouhaha soulant d’« Entre les murs », le film de Laurent Cantet Palme d’or à Cannes, tourné dans un collège parisien du 19e arrondissement également. Bernard Gadret, qu’on n’appellerait pas autrement que « Monsieur », a l’œil à la fois sévère et pétillant du maître à l’ancienne. « J’ai une formation d’horloger, c’était il y a très longtemps. Il fallait cinq ans d’activité professionnelle pour entrer comme professeur à l’éducation nationale, à l’époque, raconte-t-il. Ses élèves sont à la tâche. Assis à l’établi, lime en main, ils façonnent des goupilles en acier, d’autres en laiton. « C’est un geste d’horloger », précise Bernard Gadret.

Esprit mécanique « Dans une précédente classe de 12 élèves, 10 sont allés travailler en Suisse, chez Jeager-Lecoultre, Dubuis, Audemars-Piguet, Breguet, poursuit le professeur. Pour ceux qui n’ont pas d’attaches en France, cela ne pose pas de problème. Certains trouvent de l’embauche en contrats à durée déterminée ou indéterminée, chez Hermès, chez Cartier. » Michel Boulanger, plus jeune que Bernard Gadret, taille de basketteur, mains de paysan, a des comparaisons de mélomane : « L’apprentissage de l’horlogerie c’est comme celui de la musique, il faut quarante essais pour avoir un petit phrasé qui va bien. » Le plus important dans ce métier, c’est « l’esprit mécanique », selon Michel Boulanger. Les élèves l’ont ou ne l’ont pas. « Quand ils ne l’ont pas, pour eux, c’est plus dur. » Qu’est-ce ? « Avoir l’esprit mécanique, c’est s’intéresser à tout, se demander pourquoi c’est carré, pourquoi c’est rond, pourquoi ça pivote. C’est comprendre les tenants et les aboutissants d’un dispositif : quelle pierre fait quoi, quelle pièce pousse l’autre. On peut apprendre la patience, mais l’esprit mécanique, ça ne s’apprend pas. » Nicolas et Rémy, deux des élèves de Bernard Gadret, ont-ils cette disposition en eux ? Nicolas, 25 ans, est blond comme a dû l’être son grand-père, un « immigré russe » horloger. Le petit-fils, bien que titulaire d’un bac scientifique, a choisi de se former à l’horlogerie un peu sur le tard. « Je savais qu’il y avait de la demande dans la branche, raconte-t-il. Je savais que je ne serais pas au chômage à la fin de mes études. Ce qui me plaît dans ce métier, c’est d’arriver à faire en sorte que les choses marchent. Ça a quelque chose de poétique, ça a un certain prestige. » Rémy, 18 ans, est issu également d’une famille d’horlogers, comme beaucoup des élèves. Dans son cas, c’est même obsession : le père, deux oncles, le grand-frère, le cousin. Tous de la partie. Il aimerait travailler pour des grands noms qui le font rêver : Rolex, Patek Philippe, Breguet. « Les montres mécaniques sont plus intéressantes que les montres à quartz », dit-il. Direction la Suisse, alors ? « Oui, j’irais bien en Suisse. Dans ma famille, personne n’y a encore travaillé. Et puis, là-bas, on peut toucher, pour commencer, un salaire de 2400euros, alors qu’en France, on ne verra jamais ça. Je mettrais de l’argent de côté en vue de mon retour. » Rémy, plus tard, envisage de tenir un atelier de réparation.