Qui a dit que la biodiversité était en danger? Sans doute est-ce vrai pour la nature (dont on a l’habitude de dire qu’elle nous “entoure”, comme si nous n’y appartenions point, alors que nous en vivons et en sommes les prédateurs-rois) mais c’est certainement inexact en ce qui concerne la faune et la flore horlogères. En ce moment, elle prolifère comme jamais.
Drôle d’époque, en effet, que celle que nous traversons. On avait pu croire un instant, après le séisme déclenché par les avides apprentis-sorciers de Lehman Brothers, Merril Lynch et autres UBS, que le monde reviendrait à un peu plus de sagesse et de retenue. Que non! Bien au contraire, c’est reparti comme avant et ce ne sont pas les très timides mesures gouvernementales d’encadrement prises ici ou là qui y changeront quelque chose.
De la crise, les plus forts en sont ressortis encore plus forts et un peu moins nombreux. Ce sont les “petits”, bien plus nombreux, eux, qui ont reçu le plus de coups sur la tête. Idem dans le monde horloger. De la crise, les grands groupes ressortent renforcés – lisez les communiqués triomphants du Swatch Group, de LVMH ou de Richemont – tandis qu’à leurs pieds grouille un bestiaire qui cherche tant bien que mal à échapper au féroce darwinisme ambiant. Et pour y parvenir, toutes les ficelles sont prêtes à l’emploi. Tout et son contraire est disponible. Vous voulez de grosses pièces ostentatoires? De minuscules machines de poignet? Beaucoup de cailloux très brillants? Trois aiguilles noires sur un cadran blanc? De la couleur? Des matières issues des laboratoires de la NASA? Des plumes? De la nacre? Ou voulez-vous épater le monde avec un objet strictement importable mais extrêmement visible? Aimez-vous la sculpture pour poignet? Ou préférez-vous la peinture miniature? Aimez-vous lire l’heure sur une spirale de diodes ou avez-vous besoin d’une très très grande et irréparable complication? Votre souci est-il de dépenser le plus possible? Ou aimez-vous les contrefaçons? Les détournements? Les copies? Bref, quel que soit l’animal qui vous intéresse, vous en débusquerez bien un spécimen quelque part, au fond de la jungle horlogère.
belle preuve de dynamisme et de santé, on a aujourd’hui l’impression que ce carnaval ressemble un peu à une danse au bord du gouffre, à une fuite en avant. Car, quand ils oublient un instant leur langue de bois corporate et se laissent aller à l’expression de sentiments plus personnels, même les plus gradés de nos horlogers cotés en bourse le reconnaissent: l’époque est bizarre. Tout le monde ou presque a l’impression “qu’on va droit dans le mur” mais rien n’y fait, on avance, on avance à l’aveuglette. On fait feu de tout bois, on tire dans toutes les directions mais on a un peu l’impression de tirer dans le vide. Nul ne sait trop bien si l’on est en train de remonter la pente d’un “V” ou si c’est un “W” qui nous attend au tournant. La planète s’épuise mais l’horloge tourne, jusqu’à quand? Le temps semble devenu un compte à rebours qui tourbillonne dans le vide.
Source : Europa Star Première Vol.12, No 5