Antoine Menusier
Au centre commercial de Rosny 2, dans le département de Seine-Saint-Denis, comme aux portes de Paris, le marché de la montre semble se bien porter. Reportage.
Comme tous les centres commerciaux à l’approche des fêtes de fin d’année, celui de Rosny 2, en Seine-Saint-Denis, dans la banlieue parisienne, a son Père Noël. Cape et bonnet rouge bordés de fausse hermine, barbe de Barbapapa, il est promesse de cadeaux pour ces enfants ravis de poser à côté de lui, le temps, rapide, d’une photo. Les petits musulmans sont particulièrement chanceux. En un mois, ils auront connu les joies de l’Aïd el-Kébir et de la nativité. Le syncrétisme festif fait le beurre des commerçants, moins celui des parents. Rosny 2 est à douze minutes de Paris, par RER, le Réseau express régional qui dessert les banlieues autour de la capitale. A la descente du train, le visiteur découvre, situé d’un côté des rails, le quartier du Bois-Perrier avec ses immeubles gris de moyenne hauteur, de l’autre, le centre commercial, spacieux, brillant, attirant. Un lieu d’autant plus fréquenté qu’il jouxte l’UGC Ciné Cité Rosny, un multiplexe de quinze salles de cinémas, sans doute la destination de week-end préférée des ados. Un film fait pour eux les y attend : « Harry Potter et les reliques de la mort, partie 1 ».
Aïd el-Kébir, Noël et, pour Elyes, bientôt l’anniversaire de ses 4 ans. Karima, sa maman, une jeune femme, est en mission « achat cadeau » dans la boutique de montres et de bijoux « L’Or du temps », au rez-de-chaussée de Rosny 2, voisine du big store H&M. « Ça fait presqu’un an qu’il nous en parle, ce sera sa première montre, confie-t-elle. Je cherche une Flik Flak. » Guess, Armani, Dolce Gabbana, Calvin Klein, Festina, Lotus sont ici autant de griffes disponibles, Flik Flak, non. Le magasin ne fait pas dans la montre pour enfants. Karima porte une Guess. « C’est ma première Guess, et ma troisième montre en tout. Ça ne dure pas plus d’un an et demi. Ma prochaine sera une Guess également, mais j’attends la sortie d’un modèle carré. Mon frère a une Festina. » La jeune mère ressort de la boutique sans cadeau pour Elyes, elle a quelques jours encore pour trouver une Flik Flak. C’est samedi, les visiteurs, nombreux, flânent, seuls, en couple ou en groupes, dans les allées du centre commercial. Une jeune femme portant un foulard sur les cheveux, marque un arrêt devant l’une des vitrines de « L’Or du temps ». « J’ai un montre en tête : carrée, à la fois dorée et argentée, comme mon alliance », explique-t-elle. « Ce sera ma première montre, précise-t-elle, enchantée par cette perspective. Je ne compte pas mettre plus de 120 euros, mais ce n’est pas moi qui l’achèterai. »
Arrive un jeune homme, son mari, le futur acheteur. Elle s’appelle Touria, lui, Youssef. Questionné sur le prix de la montre, il répond qu’il a prévu un budget de 160 euros maximum. Sa femme a un petit sourire en lui révélant le montant qu’elle a prévu. Il porte une Festina, la même depuis quatre ans, ronde, en acier brillant. « Elle marche toujours, je n’ai pas l’intention d’en changer dans l’immédiat », indique-t-il. Youssef et Touria viennent d’emménager à Pierrefitte-sur-Seine, dans le département de Seine-Saint-Denis, le fantasmagorique 93. Ils habitaient auparavant en Alsace. Lui occupe un poste au Commissariat à l’énergie atomique, elle fait des stages en hôpitaux.
Yvonnick, 25 ans, vendeur à « L’Or du temps » et déjà beaucoup d’assurance dans son costume de commercial, a une vue globale sur la clientèle du magasin. « Les filles achètent pour leur copain. Dans le haut de gamme, c’est l’homme qui vient choisir, explique-t-il. Ici, nous vendons surtout des griffes, des montres assez modernes, pas faites pour le long terme. Les clients en changent souvent. Nos acheteurs sont principalement des jeunes et des personnes à partir de 40 ans, dont le choix se porte sur des marques comme Certus ou Go. Go plaît bien aux retraités. Ce qui marche, chez les garçons, c’est le style ado-sport, Festina ou Lotus. On choisit aussi une montre en fonction de ses goûts vestimentaires et musicaux.
Guess, par exemple, avec son côté bling-bling et hip-hop, assez chargé, assez épais, a du succès auprès des filles comme auprès des garçons. » Pour monter en gamme, il faut emprunter l’escalator. La boutique Didier Guérin, affiliée à « L’Or du temps », a des tons fauves, pastels, doux, et des vitrines qui semblent plus épaisses. La plus chère des montres – si l’on a bien regardé – est ici un modèle Dior, vendu 7600 euros. Très au-dessus des prix en vigueur chez le confrère du dessous. Myriam et Caroline, de Neuilly-sur-Marne, une localité de Seine-Saint-Denis, sont venues à Rosny 2 en charmant binôme mère-fille. Luis, le boy-friend de Caroline d’origine espagnole, fête ses 23 ans dans quelques jours. Elles choisiront ensemble le cadeau. Une montre, évidemment. Mais Luis n’en sait rien. Ce sera une surprise. « Il est très marques », dit Myriam, la mère, qu’on sent admirative de ce jeune homme.
« Je cherche un peu classe, simple, pas bling-bling, précise Caroline sur un ton plus neutre. Il aime être sapé. Il a une Diesel, 139 euros, je l’ai achetée. » Luis a offert à sa petite amie les brillants qu’elle porte au cou. « Elle est très bijoux, elle est très tout », commente sa mère. Toutes deux ont repéré pour Luis une Armani de forme rectangulaire, raisonnablement épaisse, cadran gris clair, avec des chiffres romains. Elle coûte 179 euros. « C’est moi qui paye », ajoute Caroline.
Avec Olivier la partie devient plus technique. Cet ingénieur commercial de 32 ans, en visite à la boutique Didier Guérin avec son épouse, native du 93, est employé par la société Solidworks, une filiale de Dassault System. « Nous avons développé un logiciel de résistance aux matériaux qui permet un assemblage en 3D », explique ce passionné des montres haut de gamme – à son poignet, une Baume et Mercier à « 1900 euros ». « Parmi nos clients, poursuit-il, enjoué, nous avons l’horloger suisse Frédéric Constant, ainsi que Zénith, qui était mal en point, mais qui devrait aller mieux après son rachat par LVMH. Zénith a tout de même sorti un modèle 30th Anniversary à 7900 euros… » Olivier l’assure : « Les montres, ça repart ! » Quittons le chaud cocon de Rosny 2 pour le froid sec de la Porte de Clignancourt, aux limites septentrionales de Paris. La coupure entre la capitale et la banlieue a la netteté d’une rambarde séparant la route des bas-côtés. D’une part, des immeubles de style haussmannien, quoique défraîchis, de l’autre, un galimatias urbain, où le boulevard périphérique surplombe des immeubles cheap, des hôtels de passage et des maisons rescapées des vieux faubourgs. Bienvenue à Clignancourt, royaume des puces et de la contrefaçon.
Les prix des montres, ici, dégringolent, s’adaptant à une clientèle modeste. Des échoppes tenues par des Indiens et des Pakistanais proposent un peu de tout, des gants, des foulards, des sacs, des bijoux et bien sûr des montres. Vraies, fausses ? Peu se posent la question. Les marques ont des noms qui n’ont jamais la faveur des magazines en papier glacé. Firmax, Ernest, FLR, Celsior… La plupart sont vendues en dessous de 20 euros, certaines n’atteignent même pas le coût d’un billet de 5. Seuls d’étranges modèles Citizen dépassent la barre des 50, affichés au prix unique de 69,90 euros dans ce commerce de la taille d’une baraque à frites, situé au sous-sol de la bouche du métro.
L’erreur serait de croire qu’au-delà du périphérique vit un lumpen-prolétariat abonné à la mocheté horlogère. D’abord, tout n’est pas lumpen en banlieue, une classe moyenne s’y trouve à son aise. Ensuite, comme l’indique notre visite au centre commercial de Rosny 2, le choix de montres est varié, il y en a pour tous les goûts et pour tous les prix. Tous les goûts ? Pas tout à fait. Mehdi, 18 ans, domicilié à Saint-Ouen, en Seine-Saint-Denis, en première année de fac à Paris, n’aurait probablement pas trouvé en banlieue la montre Lego du styliste Jean-Charles de Castelbajac qui orne son jeune poignet. « Je l’ai acheté 100 euros à Paris dans une boutique Castelbajac, raconte-t-il. Elle est colorée, jaune, verte, rouge, avec un cadran noir. Je ne m’en sers pas pour regarder l’heure, pour ça, j’ai mon téléphone portable, mais j’aime bien ses couleurs, je trouve ça marrant. » Eh oui, on trouve aussi des garçons pop et dandy en banlieue.
Source : Europa Star Première Vol.12, No 6