Très opportunément, le 17 janvier, au moment même où le SIHH ouvre ses portes et que les premiers invités font déjà la queue devant les portiques de détection électroniques à travers lesquels tous doivent obligatoirement passer, Richemont publie ses chiffres pour les trois derniers mois de 2010. Verdict: des ventes en hausse de 23% à taux de change constant (33% en monnaies locales) pour un chiffre d’affaires de 2,107 milliards d’euros. Dans les stands qui bordent les vastes allées du Salon, les CEO se frottent donc déjà les mains en attendant les chalands. Les “éléments de langage” de leur communication ont été strictement cadrés et les collections qu’ils s’apprêtent à dévoiler en témoignent: cette année “rigueur, classicisme et minceur” seront mis en avant. Mais que les indécrottables machos adeptes des “Hummer” de poignet ou les amoureux du bling ne se fassent pas pour autant trop de souci: il y en aura toujours pour tous les goûts et, malgré cette offensive néo-classique, ils parviendront sans peine à débusquer ci et là de quoi garnir leurs épais poignets (lire à ce sujet dans Europa Star 1/11 l’article de Keith Strandberg Watches For Real Men). Et s’ils ne trouvent pas leur bonheur parmi les 19 exposants du SIHH, ils pourront toujours se glisser dans une des limousines qui font déjà chauffer leurs moteurs dans les allées adjacentes et filer non loin dans les suites des hôtels du bord du lac Léman ou au GTE des indépendants.
Car c’est un paradoxe qui, malgré les garde-fous dressés par les organisateurs du SIHH, prend chaque année plus d’importance: autour du vaisseau amiral, croisent et s’agrègent de plus en plus de marques et non des moindres. Le Swatch Group est bien présent, qui inaugure en parallèle deux expositions, Jaquet-Droz et Breguet avec une première mondiale, la Type XXII battant à 10Hz, soit 72’000 alternances/heure. LVMH est aussi en force avec un TAG Heuer ayant investi un vaste espace pour présenter, entourée de fabuleuses voitures de compétition, une autre première mondiale, le TAG Heuer Carrera Mikrograph, un chronographe intégré avec roue à colonnes affichant le 100ème de seconde, un Zenith en pleine renaissance qui tient salon au Kempinski ou, de l’autre côté du lac, un Hublot qui mène très grand train au Métropole. Le groupe Franck Muller organise en ses terres sa rituelle “World Presentation of Haute Horlogerie” et quelques puissants indépendants sont aussi présents, à l’image de Corum qui en profite pour dévoiler en avant-première la cohérence de ses nouvelles collections (A lire prochainement dans Europa Star Special Basel 2011). Par ailleurs, toutes les maisons genevoises, plus discrètement, attirent dans leurs sièges les détaillants les plus influents. Sans oublier les luxueux horlogers de niche qui se répartissent sur les bords du lac – tels De Béthune, Christophe Claret, Jean Dunand, Urwerk, Bovet, Preziuso, Delaneau, DelaCour... pour ne citer que quelques unes des plus de 100 marques présentes au cours de cette folle semaine.
Afin de tenter d’endiguer autant qu’il se peut cette déperdition d’énergie et cette fuite de capitaux, le SIHH a été beaucoup plus strict cette année dans la sélection de ses invités et les consignes ont été plus clairement notifiées aux intéressés. Quoi de plus normal après tout car ce sont bel et bien les marques du SIHH qui sont les puissances invitantes et qui règlent billets d’avion, sushis à gogo et nuits dans les palaces!
Prime à la consistance
Revenons donc en priorité dans les couloirs du SIHH (même si, résidant à Genève, les journalistes d’Europa Star ne doivent rien à personne et sont donc quant à eux parfaitement libres de leurs mouvements...). D’emblée on constate qu’effectivement, les mots d’ordre de néo-classicisme ont été suivis à la lettre et que partout un strict régime basses-calories a été fidèlement appliqué. Les tours de taille ont diminué, la graisse a fondu, les visages ont été nettoyés. Mais dans cet exercice de fitness généralisé, ceux qui ont toujours été fit sont ceux qui tirent au mieux leurs marrons du feu. Dans cette catégorie, la prime revient sans conteste à Piaget qui se voit récompensée pour n’avoir jamais trop dévié de sa ligne, pour être toujours restée génétiquement fidèle à elle-même, c’est à dire mince et élégante. “L’ultra-plat est notre religion” affirme en ouverture le CEO Philippe Léopld-Metzger ravi de constater que ce n’est pas lui qui a eu besoin de suivre la tendance mais que c’est la tendance qui est venue jusqu’à lui. La marque en a profité pour sortir une impressionnante salve de 64 nouveautés, ainsi que sa première collection thématique, conçue précisément pour célébrer le Nouvel An chinois – car si la tendance actuelle favorise Piaget il faut néanmoins favoriser le marché-phare actuel. Piaget n’a donc pas dû forcer son naturel pour offrir entre autres une très belle démonstration d’élégance avec sa collection Altiplano. Une famille née en 1957 avec le calibre 9P de 2mm d’épaisseur suivi dès 1960 par une version automatique, le 12P, alors plus mince mouvement automatique au monde. Rappelant au passage que sur les 29 mouvements développés jusqu’à aujourd’hui par Piaget, 17 sont extra-plats, M. Metzger avait beau jeu de vanter l’expertise de sa maison dans ce domaine revenu aujourd’hui au centre de toutes les attentions, s’attendant ainsi après une “très bonne année 2010” à une “explosion des ventes, surtout en Asie, comme de bien entendu.”
Si la collection Altiplano est toujours aussi mince, elle se décline à présent en trois tours de taille, du 38mm, du 40mm et du 43mm. Un travail très fin et très rigoureux a été mené sur les différents visages qu’offre la famille Altiplano, privilégiant la quintessence de la lisibilité et de l’affichage: aiguilles bâton, petites secondes, alternance d’index bâtons simples et doubles sur des cadrans limpides et essentiels. Du très beau travail. Même intégralement pavées – car Piaget reste une maison joaillière – les Altiplano conservent leur luxueuse simplicité.
Par ailleurs, un nouveau calibre démontre que l’expertise en minceur de Piaget n’est pas un vain slogan: le 1270P, d’une épaisseur de 5,5mm et composé de 200 pièces, se vante d’être le mouvement tourbillon le plus plat au monde. Issu de deux autres mouvements, le 1208P qui lui a apporté son système de remontage automatique mû par micro-rotor (un des grands hit des Salons) ainsi que son système de réglage de la mise à l’heure, et le 600P d’où provient son échappement tourbillon dont la cage pèse 0,2 grammes, le 11270P est un mouvement de forme coussin inédite précisément conçu pour son boîtier. Cette symbiose poussée entre forme du mouvement et boîtier a permis aux concepteurs de Piaget, qui ont inversé l’architecture et l’ordonnancement des éléments du mouvement, plaçant côté cadran le micro-rotor, le barillet et l’organe régulateur, de créer une magnifique montre de 10.4mm d’épaisseur, dont tout le fonctionnement se dévoile à travers un cadran en verre saphir soleillé au laser. Au dos de la montre, deux ouvertures ont été ménagées, l’une permettant de voir l’autre face du tourbillon et la seconde destinée à l’indication de la réserve de marche.
ULTRA-THIN TOURBILLON et ALTIPLANO par Piaget
La plus belle montre de la saison
Autre grande maison à ne pas avoir eu besoin de forcer son naturel pour être au faîte de la tendance néo-classique: Vacheron Constantin. Mais au-delà de ses modèles les plus dépouillés, la manufacture genevoise a surtout présenté une montre que l’on peut qualifier sans hésitation de plus belle réalisation vue à Genève au cours de cette semaine horlogère, toutes catégories confondues: la Patrimony Traditionnelle Heures du Monde. Première particularité de cette magnifique pièce: elle est la première montre-bracelet à indiquer les 37 fuseaux horaires utilisés toute l’année par l’ensemble des pays du globe, parmi lesquels on compte 13 fuseaux à demi-heure ou même à quart d’heure, comme par exemple Katmandou au Népal (au total 43 fuseaux horaires sont utilisés, dont 6 ne sont en vigueur qu’une partie de l’année pour les heures d’hiver ou les heures d’été boréales et australes). Seconde particularité: l’indication jour/nuit ne figure pas dans un petit guichet, comme c’est l’usage, mais se lit visuellement grâce à un disque saphir teinté pour moitié d’une zone plus sombre qui tourne sur la représentation de la carte du monde. Aussi poétique que pratique, elle permet de visualiser l’avancée de la nuit et de repérer aussitôt dans quelle portion de la nuit se trouve tel ou tel lieu. Troisième particularité et non des moindres: le tout se règle très aisément grâce à une seule couronne, ce qui permet de conférer une parfaite pureté au boîtier en or rose de cette pièce de 42,5mm de diamètre. Emportée par le nouveau calibre automatique 2460 WT de 8,10 mm d’épaisseur, composé de 255 pièces avec masse montée sur roulements à billes en céramique, dotée d’une réserve de marche de 40 heures, estampillée Poinçon de Genève, la Patrimony Traditionnelle Heures du Monde a comme dernier atout son prix aussi imbattable que parfaitement calibré: 28’900.- euros. Une future “Montre de l’Année”, à n’en pas douter.
Par ailleurs, Vacheron Constantin présentait dans la collection Patrimony Contemporaine un très beau Quantième Perpétuel également tout en pureté et en lisibilité, doté du Calibre 1120 QP de 4,05mm de hauteur, ce qui en fait un des QP les plus plats du monde. Autre axe de la marque, le renforcement de sa série de montres personnalisées Quai de l’Ile, introduite en 2008, qui, avec l’adjonction de cadrans supplémentaires alternant finitions satiné-vertical et opalin et d’un nouveau mouvement quantième annuel et affichage rétrograde de la date, porte le choix de combinaisons disponibles à 700 variations différentes. Enfin, Vacheron Constantin poursuit ses rééditions en ressortant une pièce datant de 1954. Plus grande que l’originale, revue et corrigée de façon à ce que ses courbes en forme d’aile d’hirondelle soient plus tendues, l’Aronde évoque immanquablement les formes organiques en vogue après-guerre.
PATRIMONY TRADITIONNELLE WORLD TIME et PERPETUAL CALENDAR par Vacheron Constantin
Nostalgies italiennes et américaines
Une semblable et même nostalgie envers la “dolce vita” des années 50 a présidé au lancement de la nouvelle collection Portofino d’IWC. Visiblement, la manufacture de Schaffhouse mise très gros sur ce revival d’une collection très classique née en 1953, jetant dans la bataille toutes les forces de son puissant marketing, à tel point qu’on a l’impression qu’elle en a un peu trop fait pour tenter de forcer à tout prix le destin: stand reproduisant façon décor de cinéma le petit mais très sélect port de la côte italienne qui a donné son nom à la collection, grande soirée “A Night in Portofino” avec mets italiens et avalanche de stars (Kate Blanchett, Kevin Spacey, Jean Reno, Zinedine Zidane, etc...), le tout photographié par une autre star, Peter Lindbergh. Le tout grand show, donc, pour le lancement d’une collection entièrement renouvelée et se voulant complète, de la toute simple automatique trois aiguilles et date équipée d’un Calibre 35110 (un calibre Sellita SW300) et vendue au prix d’appel d’environ 3’500.- euros, à la Réserve de marche à remontage manuel équipée d’un calibre IWC 59210, avec barillet extra-large assurant 9 jours de réserve de marche, en passant par un chronographe avec date et jour ou une Dual Time équipée d’un nouveau calibre maison à double barillet 72h. Ronde, élégante, proposée sur cuir (de la renommée maison italienne Santoni pour les modèles Double fuseau horaire et Remontage manuel) ou sur de très souples et beaux bracelets, à maille milanaise, nostalgiques eux aussi. Offensive donc essentiellement commerciale pour IWC, à rapprocher d’une autre offensive, comparable sur plusieurs points, menée par Baume & Mercier.
PORTOFINO DUAL TIME par IWC
On retrouve sur le stand de la marque genevoise, désormais dirigée par l’Alsacien Alain Zimmermann, ancien de chez Cartier et d’IWC, adepte du “story-telling”, un semblable décor de studio cinématographique mais consacré, cette fois, à un autre lieu de villégiature sélect, les Hamptons siutés à la pointe de Long Island. Plutôt qu’à la Dolce Vita fellinienne, c’est plutôt à une image de l’Amérique des Kennedy que fait appel le marketing Baume & Mercier. Images de bonheur familial, beau couple et beaux enfants, barbecues au pied des dunes, intérieurs élégants faits de bois clairs… “Life is about moments” comme le clame le slogan conçu pour initier cette nouvelle aventure destinée à relancer la marque qui, après avoir connu plusieurs réorientations, se positionne désormais sur le terrain de “l’élégance à prix corrects”, c’est à dire proposant un cœur de gamme allant de 2’000.- à 4’000.- euros.
Pièce emblématique de ce renouveau aux forts accents rétro, le chronographe flyback Capeland, directement inspiré d’une pièce de 1948. Avec sa forme de galet poli par les vagues, ses courtes cornes, ses chiffres arabes, ses échelles télémétriques et tachymétriques, cette pièce, par ailleurs très réussie dans son style années 50, est parfaitement emblématique du revival recherché par Baume & Mercier. Emportée par un mouvement automatique Bi-compax de Lajoux-Perret, proposée en acier ou en or rouge sur bracelet crocodile noir, elle possède la belle allure d’un classique somme toute indémodable à défaut d’être révolutionnaire, parfaitement emblématique de ce SIHH 2011.
CAPELAND FLYBACK CHRONOGRAPH par Baume & Mercier
Des Allemands plus ludiques
Autres latitudes, autre horlogerie, autres approches. Chez A.Lange & Söhne, Fabian Krone n’ayant semble-t-il pas obtenu les résultats commerciaux attendus, a dû céder sa place en septembre 2009 à Jérôme Lambert, par ailleurs CEO de Jaeger-LeCoultre, venu temporairement “remettre aux normes” la manufacture saxonne qui n’avait pourtant pas démérité, du moins au niveau des produits proposés – on se souvient par exemple du dernier lancement opéré par Fabian Krone, celui de la très intéressante pièce à affichage digital, la Lange Zeitwerk. Désormais pilotée par un nouveau CEO, Wilhelm Schmid, venu du secteur commercial et marketing de BMW, A.Lange & Söhne n’a pour autant pas dévié de sa route mais a donné une petite touche plus ludique à son horlogerie par ailleurs toujours aussi allemande et orthodoxe. Et la manufacture semble être passée à la vitesse supérieure: sur les 40 mouvements qu’elle a créés ex-nihilo depuis 1994, date de sa renaissance, 11 sont sortis au cours de ces deux dernières années, dont 5 nouveaux mouvements en 2010-2011, pour 6 nouveaux modèles présentés cette année au SIHH. Parmi ceux-ci, se détache très nettement le Richard Lange Tourbillon “Pour le Mérite” doté d’une innovation en forme d’animation de cadran qui dénote bien du “nouvel esprit” qui souffle dans les collines de Glasshütte. Se présentant comme un régulateur magnifiquement dessiné avec ses trois orbes se partageant le cadran pour afficher minutes, heures et secondes, ce nouveau tourbillon “Pour le Mérite” doté d’une transmission par fusée-chaîne, inspiré d’une montre de poche réalisée par Johann Heinrich Seyfert – dont l’explorateur Alexander von Humboldt figurait parmi les exigeants clients – cache un mécanisme de cadran mobile aussi inédit qu’étonnant. Le tourbillon ne semble visible que partiellement, recouvert qu’il est par une partie de la minuterie des heures dont la courbe empiète sur son ouverture. Mais cette portion de cadran disparaît instantanément dès que l’aiguille des heures parvient à XII heures, laissant ainsi l’intégrale vision des finitions superlatives, comme toujours, de la cage et du mécanisme. Dès que l’aiguille parvient à VI heures, le cadran se remet en place par saut instantané.
Autre réalisation remarquable, la nouvelle Lange Zeitwerk Stricking Time, avec marteaux et gongs apparents qui, comme son nom l’indique, sonne au passage les heures et les quarts. Enfin, et nous y reviendrons dans une de nos prochaines éditions, A.Lange & Söhne, élargit considérablement sa collection Saxonia en présentant un nouveau mouvement automatique plus plat, une manuelle, un dual time et, air du temps oblige, une très essentielle Saxonia Plate dont le mouvement est de 2.87mm de hauteur pour un boîtier de 5,9mm.
RICHARD LANGE TOURBILLON POUR LE MÉRITE et LANGE ZEITWERK STRIKING TIME par A. Lange & Söhne
Jouer avec “le côté sombre”
Autre maison du groupe Richemont à être passée sous tutelle, Roger Dubuis est désormais pilotée directement par Georges Kern, par ailleurs CEO d’IWC. Celui-ci y a procédé à un très important relancement en redéfinissant intégralement le portefeuille de collections de la marque. 2011 marque la première étape de ce redéploiement qui, tout en se basant sur le savoir-faire acquis par la maison en termes de mouvements – 30 mouvements créés en 15 ans – et de verticalisation de sa production – y compris, semble-t-il spiraux et échappements, mais l’accès au site de production des spiraux reste strictement confidentiel – entend à la fois assagir stylistiquement la marque tout en redéfinissant sa cible. Elle est désormais qualifiée “d’un peu extravagante”, n’étant effrayée ni par “une touche d’audace”, ni de jouer quelque peu avec “le côté sombre” (sic) de l’existence. Entendez par “sombre”, une thématique abordant pour la nouvelle collection La Monégasque les univers du jeu, du casino, du risque (risque financier qui serait comme une ombre de la crise…?), ou le monde des guerriers et des samouraïs pour les hautes complications, celui des divas, des fatales et de la séduction pour l’offre féminine ou enfin le monde des “aventuriers et des casses” (sic) pour la future collection sport qui sera présentée en 2012. Flirtant ainsi avec les limites du politiquement correct, Roger Dubuis est pourtant plus sage dans ses produits que dans sa communication. Et c’est, à notre avis, une bonne chose. La Monégasque en particulier le démontre très bien. Tout en restant démonstratif, toujours marqué de quelques touches d’exubérance (comme cet invraisemblable bracelet cuir traité façon fauteuil club Chesterfield de la Monégasque Club dont le cadran est quant à lui taillé dans de l’écaille de tortue), le nouveau style Roger Dubuis a gagné en élégance. Sans aucunement verser dans le minimalisme qui règne dans tous les stands alentours, les boîtiers ont été ici aussi amincis, les proportions ont été revues, le superflu a été nettoyé et il s’en dégage de nouvelles et plus belles harmonies.
40 références dans le cœur de gamme, s’étageant de 12’000.- à 70’000.- CHF, avec des chronographes automatiques et autres petites complications utiles, des séries limitées, des “Millésimes” démontrant le savoir-faire mécanique et du sur-mesure.
Et c’est aussi sur le mouvement que l’accent a été mis. Un effort nécessaire de fiabilisation, de contrôle, d’homologation et de rationalisation d’une production totalement autonome, certifiée à 100% Poinçon de Genève et s’étant développée au rythme sans doute trop élevé de 30 calibres en 15 ans. Question de qualité dans la continuité, donc, mais aussi de compétitivité. La nouvelle base qui a donné naissance à la nouvelle famille de mouvements se nomme le RD680. Ce calibre automatique 13“’ à micro rotor a été entièrement revu dans sa conception et dans sa fabrication et a permis”l’amélioration", comme le déclare Grégory Bruttin, responsable du développement mouvements, de quatre complications: double tourbillon, chrono rattrapante, QP, tourbillon squelette. Nous reviendrons également dans un de nos prochains numéros sur ce recentrage stylistique et qualitatif remarqué de Roger Dubuis.
LA MONÉGASQUE et le mouvement RD680 par Roger Dubuis
Légitimation en Haute Horlogerie
Nul besoin de “recentrage” chez Cartier, mais un approfondissement marqué des orientations horlogères dessinées au cours des saisons précédentes. Un accent particulier a été mis cette année sur la haute joaillerie et les Métiers d’art, avec notamment une splendide collection Cartier d’Art jouant avec la mosaïque de pierre, l’émail plique-à-jour paillonné, la marqueterie de bois, de nacre ou l’émail grand feu champlevé (au sujet de ces pièces, ainsi que de la nouvelle collection féminine Délices de Cartier, lire l’article de Sophie Furley dans Europa Star 1/11).
Côté Haute Horlogerie masculine, les équipes emmenées par Carole Forestier poursuivent leur effort visant à légitimer pleinement Cartier dans ce secteur. Quatre nouveaux mouvements sont ainsi proposés, équipant une Rotonde Astrorégulateur, une Calibre Multifuseaux, une Pasha Tourbillon volant squelette et une Calibre Astrotourbillon. L’Astrorégulateur est tout particulièrement révélateur des grandes ambitions de Cartier dans ce domaine. Impossible d’en détailler le fonctionnement dans le cadre de cet article (nous y reviendrons également) mais disons simplement qu’il s’agit là de la recherche d’une alternative au tourbillon traditionnel dont la cage d’échappement, passant par tous les centres de gravité possibles, moyenne les écarts de marche dans les positions verticales, permettant ainsi un meilleur isochronisme. Les horlogers de Cartier ont suivi une toute autre voie en imaginant un système compensatoire inédit des effets négatifs de la gravité. Ils ont ainsi embarqué l’échappement, l’oscillateur et la seconde pendulaire directement sur le rotor qui, dans le plan vertical, revient toujours sur la même position, offrant ainsi un unique centre de gravité et permettant à l’horloger de régler l’oscillateur dans cette position unique. De plus, deux différentiels permettent de transformer les vitesses variables transmises au rotor par les mouvements du poignet du porteur de la montre en vitesse constante, permettant ainsi d’assurer une marche parfaitement régulière à la seconde pendulaire qui se déplace avec le micro-rotor dont la masselotte est en platine. Mis en scène dans un très léger boîtier de nobium-titane, parfaitement terminé (platine perlée, ponts anglés, étirés, décorés Côtes de Genève), stylistiquement totalement Cartier – jeux étagés du cadran, chiffres romains étirés, camaïeux de gris, d’ardoise, d’argenté – l’Astrorégulateur, protégé par quatre brevets témoigne effectivement de “l’engagement profond de Cartier dans le développement de la Haute Horlogerie”, comme l’affirment les responsables de la marque. Ce dont témoigne également l’innovante Multifuseaux dont l’indication de la seconde zone horaire se fait latéralement.
ROTONDE ASTRORÉGULATEUR et MULTIFUSEAUX CALIBRE par Cartier
A propos des autres marques du groupe Richemont présentes au SIHH, lire notre numéro Spécial Jaeger-LeCoultre livré avec Europa Star 1/11, notre Cover Story sur Ralph Lauren ainsi que les articles de Sophie Furley et de Keith Strandberg.
Classicisme des indépendants du SIHH
Du côté des maisons indépendantes participant au SIHH, on constate que les mêmes tendances sont à l’œuvre: classicisme, minimalisme, inspirations vintage sont au programme, notamment chez Girard-Perregaux ou chez Parmigiani.
Petite cuvée, serait-on tenté de dire à propos de cette dernière maison. Parmigiani annonce ainsi essentiellement une nouvelle collection, la Tonda 1950, dont le nom dit tout le programme. C’est la première montre classique extra-plate de la manufacture, une heures, minutes et petites secondes, dotée d’un nouveau mouvement automatique 13 ¼"’ de 2,6mm, le PF 701, d’une autonomie de 42 heures et doté d’un micro-rotor excentré, décidemment très en vogue cette année. Il vient s’insérer dans une fine boîte de 7,80mm d’épaisseur pour un diamètre de 39mm. Stylistiquement, les codes essentiels de la marque sont parfaitement respectés, et notamment le profil aux cornes si caractéristiques. Les finitions, comme toujours, sont parfaites: platine en maillechort sablée, perlée et rhodiée, ponts étirés, anglés main, rhodiés, roues anglées, moulurées et cerclées sur les deux faces. En outre, Parmigiani, qui annonce avoir écoulé environ 5’000 pièces l’année dernière, et dont la verticalisation est presque intégrale désormais, suite à un nouveau centre de production installé à Moutiers, présente une nouvelle déclinaison de sa Bugatti, la Super Sport, dont le mouvement n’est plus sur axe transversal, comme la précédente, mais sur un axe vertical qui conserve néanmoins la lecture latérale du temps. C’est un système de renvoi de l’heure à 90º formé de double pignons à engrenage conique qui a permis ce renversement. Enfin, Michel Parmigiani s’est attaqué en personne à la réalisation d’une pièce unique (vendue 2,5 millions de CHF) en forme de première mondiale: une pendulette de table à calendrier hégirien, fonctionnant sur une base cyclique de 30 ans. Une très intéressante performance sur laquelle nous reviendrons également.
TONDA 1950 et BUGATTI SUPER SPORT par Parmigiani
Girard-Perregaux, on le sait, a connu une année très douloureuse, qui a vu la disparition de son charismatique dirigeant, Gino Macaluso, disparu en octobre 2010 à l’âge de 62 ans. Ses deux fils, Stefano et Massimo, en compagnie de leur mère, ont repris les rênes du groupe Sowind qui contrôle aussi JeanRichard. Une transition menée jusqu’à présent sans heurts, mais d’autant plus délicate que Girard-Perregaux fête cette année ses 220 ans d’existence.
Ces pénibles circonstances expliquent certainement le fait que Girard-Perregaux n’ait présenté en ce début d’année que peu de nouveautés, essentiellement classiques ou commémoratives, comme le très beau et très pur GP 1966 Tourbillon Anniversaire sous Pont d’Or, avec son élégant pont de tourbillon aux bras superbement bercés. Autre référence à 1966, une nouvelle et très pure Petite Seconde à cadran émail qui, avec ses minuteries chemin de fer, est une des plus belles classiques de cette saison qui n’en manque pas. Autres regards rétrospectifs, deux montres tout aussi pures Vintage 1945, au célèbre boîtier rectangulaire inspiré de l’Art déco, la XXL (mais qui n’est “que” de 32.25 x 36.20mm) et la Lady au boîtier serti de 70 diamants. Rayon femmes, notons enfin une nouvelle version de la Cat’s Eye, dotée d’une petite seconde.
GP 1966 TOURBILLON ANNIVERSARY et VINTAGE 1945 par Girard-Perregaux
Les deux piliers
Chez Audemars Piguet, qui affirme avoir écoulé 25’000 montres en 2010, les nouveautés se partagent entre les deux piliers de la marque, la Haute Horlogerie, et la Royal Oak (à propos des nouvelles Royal Oak, lire l’article de Keith Strandberg dans Europa Star 1/11). La manufacture du Brassus paie aussi cette année son obole à la minceur, à la pureté et au classicisme avec une collection Jules Audemars intégralement revue et augmentée: une version Automatique avec date et seconde centrale, une Extra-Thin de 28,40mm, dotée d’un des mouvements les plus plats du marché le Calibre maison 2120, une Petites Secondes, une Dual Time ou encore une Moon-Phase Calendar. De quoi permettre aux 560 points de vente de la marque de satisfaire la demande variée des nouveaux adeptes de l’understatement (dont les Chinois sont parfaitement emblématiques et où AP a connu l’année dernière une croissance à deux chiffres…).
Mais la nouveauté la plus marquante est la Millenary 4101 dotée d’un nouveau calibre dédié, de forme ovale comme son boîtier, et surtout dont toute la construction tridimensionnelle a été inversée de manière à apparaître en pleine activité mécanique sur le recto de la montre. Cette volonté d’ouverture sur le mécanisme a nécessité une parfaite intégration entre ingénierie du mouvement et design de la boîte. L’organe réglant est ainsi particulièrement visible. Situé à 9h, il est doté d’un balancier à inertie variable équipé de 8 masselottes, et l’on distingue aussi parfaitement l’ancre et la roue d’échappement à travers l’ouverture qui traverse toute l’épaisseur du mouvement. Ponts et effets de décoration cherchent à accentuer cet étagement tridimensionnel. Au dos, on peut voir la masse décentrée avec inverseur à billes céramiques. Une très belle réalisation en équilibre à la frontière entre horlogerie classique et design très contemporain. On retrouve par ailleurs ce même délicat équilibre post-moderne dans la nouvelle Millenary Répétition Minutes à remontage manuel (165 heures de réserve de marche assurées par deux barillet, un troisième barillet étant dédié à la répétition) équipée d’un échappement Audemars Piguet. L’organe régulateur du calibre 2190 est composé de deux spiraux placés “en sandwich” inversés à 180º permettant une auto-compensation des défauts d’équilibrage.
JULES AUDEMARS collection et MILLENARY 4101 par Audemars Piguet
Etre son propre classique
Contrairement à nombre de ses confrères, Richard Mille n’a ressenti quant à lui aucune tentation de céder aux sirènes du classicisme retrouvé, si ce n’est son propre classicisme. Adepte depuis plusieurs années déjà de la plus grande légèreté alliée à la plus grande robustesse, il a toutefois cherché à diminuer l’épaisseur de ses mouvements. Il présente ainsi cette année un nouveau calibre automatique extra-plat, le RM 033, qui culmine à 2,60mm d’épaisseur. Pour ce faire, il intègre un micro-rotor excentré (encore un, décidément) et bidirectionnel en platine. Mais pour assurer la robustesse du fin entrelacs de ce mouvement squeletté, platine, ponts et coq sont en titane grade 5 avec revêtement Titalyt ou traitement PVD (pour les ponts). Balancier à inertie variable, vis cannelées, couronne céramique avec double joint torique font encore partie de l’équipement de cette pièce mince mais néanmoins très “Mille”.
Toujours dans le domaine de l’extra-plat, Richard Mille présente aussi un tourbillon extra-plat habillé d’un boîtier rectangulaire, le RM 017 (déjà présenté en prototype l’année dernière) qui a été entièrement revu et dont platine et ponts sont ici aussi en titane grade 5. Equipée d’un système de blocage empêchant la surtension lors du remontage, le RM 017 est également dotée d’un indicateur de fonction inspiré des boîtes de vitesse des voitures, qui permet d’indiquer les positions W (remontage), N (neutre) et H (mise à l’heure) de la couronne. Dépourvu de cercle d’emboîtage, le mouvement est directement monté sur le “châssis” et fixé par 4 vis en titane et par silentblocs.
Mais ce ne sont là que deux des nombreux produits sortis du pipe-line de Mille qui, cette année, lance aussi la RM 026, un tourbillon joaillier de haut vol qui, sous sa glace saphir, voit s’enlacer au mouvement deux serpents tridimensionnels de rubis, d’émeraude et de diamants sur platine onyx noir; la RM 029, une automatique grande date indiquée par deux disques et emportée par un rotor à géométrie variable (constitué de deux ailettes réglables sur 6 positions différentes en fonction du style de vie plus ou moins actif du porteur); la RM 030, une automatique à rotor également à géométrie variable mais aussi débrayable, laissant ainsi tourner librement le rotor débrayé du mouvement déjà remonté à bloc; et la RM 038 conçue pour Rubba Watson, ce golfeur gaucher de presque deux mètres connu pour être un frappeur de première catégorie et qui, après Nadal, va pouvoir tester en conditions réelles cet ultra-résistant tourbillon squelette en magnésium-tytalium. “Mon horlogerie est un peu rockn’roll” concède Richard Mille, “mais sur le plan technique, c’est toujours très très sérieux. Je mène toujours plusieurs projets de front, c’est plus excitant d’autant plus que la durée de vie des produits horlogers tendant à se réduire toujours plus, on est contraint à de la créativité constante. Mais c’est bien ainsi.” Avec 2’500 montres vendues en 2010, l’aventure se porte bien et “restera ainsi, à taille humaine”, promet Mille.
RM 033 et RM 017 par Richard Mille
Une montre par année et par personne
Taille plus “qu’humaine” chez Greubel Forsey dont la production – mais quelle qualité! – se monte bon an mal an à une centaine de pièces pour une centaine d’employés. A une pièce par an et par personne, Greubel Forsey bat sans doute tous les records mondiaux, y compris celui de Philippe Dufour, le grand “Maître” avec qui la maison partage une exigence de qualité des finitions à nulle autre pareille. Fidèle à sa mission, placée sous le signe de la “réinvention” des grands classiques de la mécanique, sous le signe de la “redécouverte” – par exemple, redécouvrir le tourbillon sous de nouvelles formes, comme le tourbillon 30º ou le double tourbillon… - Greubel Forsey prend le temps de mettre au point, d’homologuer avant de pérenniser ses inventions. Avant de les auto-célébrer, à l’image de cette Invention Piece 2 de 594 composants, qui célèbre le Quadruple Tourbillon. Une pièce composée de deux double tourbillons, positionnés l’un à l’endroit, incliné à 30º et effectuant 1 rotation par minute, et l’autre à l’envers effectuant une rotation en 4 minutes, et reliés par un différentiel sphérique qui établit leur moyenne de marche. A ce degré de complexité, quand les indications horaires deviennent secondaires, on ne compte plus, ou alors en très gros chiffres: 730’00.- CHF pour chacun des 11 exemplaires produits en platine, 750’000.- CHF pour les 11 en or rouge. Autre pièce remarquable, notamment pour l’excellence “garantie” de sa chronométrie, un Double tourbillon 30º Technique en platine, doté de quatre barillets coaxiaux mis en ligne et procurant une réserve de marche de 120h d’amplitude à 120º.
DOUBLE TOURBILLON 30º TECHNIQUE et INVENTION PIECE 2 par Greubel Forsey
Le secret le mieux gardé
Un niveau technique – se basant sur la plus haute tradition pour mieux la sublimer - et une qualité esthétique comparables se retrouvent chez un autre indépendant, mais hors SIHH cette fois: chez De Bethune, qui est peut-être le secret le mieux gardé parmi les marques horlogères récentes (née il y a dix ans).
Pour tenter de parer à cette relative méconnaissance de ce qui est une des plus compactes, innovatrices et complètes petites manufactures de Suisse (40 personnes, 200 à 300 pièces produites par an), De Bethune vient d’engager Pierre Jacques, ancien éditeur (GMT), ancien détaillant (Les Ambassadeurs, Genève) et nouveau CEO de la maison fondée conjointement par Denis Flageollet, l’horloger, et David Zanetta, l’œil esthétique, le connaisseur, l’homme d’affaires.
Comme le dit Denis Flageollet lui-même, avec De Bethune, “Pierre Jacques reçoit les clés d’une maison saine. Tous les canons esthétiques et techniques de la marque sont posés, rien n’a jamais été fait pour le court-terme ou uniquement pour des raisons commerciales, le style est unique, la recherche poussée, le savoir-faire maîtrisé…Il n’a aucune excuse!” Faisons-lui confiance.
En témoigne cette année la DB28, une pièce emblématique de l’horlogerie selon De Bethune, avec ses codes identitaires forts – lune sphérique unique en son genre, balancier en silicium/palladium, système triple pare-chute (les balanciers sont une des pistes de recherche privilégiées de Denis Flageollet), double barillet auto-régulateur, berceaux mobiles brevetés s’adaptant à tous les poignets, splendeur des aciers bleuis… Une “pièce d’art à porter”, aussi douce, légère (boîtier en titane) et ergonomique que d’une esthétique pleinement contemporaine, voire un peu futuriste (et d’un prix allant de 80’00.-CHF pour la version titane ou 87’500.- pour celle en or rose).
Voulant démontrer à ceux que l’aspect très contemporain d’une montre aveugle quelque peu, les empêchant de percevoir le classicisme bien compris et superbement adapté au XXIème siècle qui inspire l’horlogerie de De Bethune, la maison présente également une pièce en forme de vrai régulateur de poignet, le De Bethune Régulateur Tourbillon.
Sa cage 30" de 0,18 g, la plus légère du marché, est une architecture de 50 composants, dont le plus léger pèse moins de 0,0001 g et le plus lourd 0,0276 g. Exploit technique mis au service de la chronométrie, grâce à la légèreté, la fréquence (36’000 alt/heure) et la vitesse de rotation maximale atteinte, garante d’une inertie minimale.
Ce moteur de haute technicité horlogère équipe une pièce dont le visage est un ciel de titane bleui frappé d’étoiles d’or qui ne déparerait pas au XVIIIe siècle. Jusqu’à la seconde centrale sautante qui, avec sa double ancre à palettes, rythme sourdement la marche. Du très beau travail, à saluer parmi les plus belles pièces vues au cours de cette semaine.
DB28 et RÉGULATEUR TOURBILLON par De Bethune
Marque lancée
Non loin de là, dans une autre suite d’un autre hôtel, Christophe Claret lui, a “sauté le pas” pourrait-on dire. Après sa remarquée Dual Tow de l’année dernière, première pièce que le constructeur-manufacturier présentait sous son propre nom (il est par ailleurs partenaire à égalité avec Thierry Oulevay chez Jean Dunand), à l’occasion il est vrai de son vingtième anniversaire, il a présenté une deuxième pièce, l’Adagio. En attendant une troisième pièce paraît-il “spectaculaire” qu’il présentera à Bâle. Christophe Claret a donc lancé sa propre marque.
L’Adagio est une répétition minutes, grande date et GMT qui est aussi pure, sobre, comme vêtue d’un smoking d’onyx noir (ou de lapis-lazuli, ou d’or gris) que la Dual Tow était “post-industrielle”, avec ses chenilles et ses cliquets d’acier. Ici, toute la structure repose sous une face élégante, avec ses indications parfaitement distribuées sous de profonds guichets d’or. La naissance d’un nouveau style Claret?
La réponse au prochain numéro (ES Special Basel 2011).
Le soleil du GTE
Au GTE, régnait un soleil. Celui de Frédéric Jouvenot, auréolé du GTE Superwatch Award emporté par sa rayonnante montre Helios, un soleil composé de douze rayons flambant à midi et sombres à minuit. Au centre du noyau solaire figure un petit module circulaire de 5mm d’épaisseur et de 12mm de diamètre d’où partent les 12 rayons figurant les heures. Ce module, sur lequel s’égrène le disque des minutes, loge un mécanisme qui fait pivoter à chaque heure d’un demi-tour le rayon correspondant à l’heure qu’il faut indiquer. A midi, tous les rayons sont d’or, puis, heure après heure, ils pivotent par saut instantané jusqu’à devenir tous noirs à minuit. A 1 heure du matin, le jour recommençant, le premier rayon s’allume. A une heure de l’après-midi, au contraire, c’est le premier rayon noir qui apparaîtra. Helios, superbe réalisation mécanico-poétique, offre ainsi une lecture inédite, à la fois par la couleur et par l’animation mécanique, devenant ainsi de fait un 24h à lecture visuelle instantanée.
Pour une toute jeune marque, c’est un très beau coup de maître. Et parfaitement dans l’air du temps car cette animation solaire reste très pure et sobre, emboîtée avec finesse, légèreté et modernité. Très bien terminée également (flancs de la lunette finement gravés d’une frise géométrique grecque, rappel des lieux où Helios a été “rêvée” pour la première fois par Frédéric Jouvenot).
Il faut toutefois compter 49’900.- CHF pour une version DLC et 47’200.- pour la version titane. (Nous présenterons plus en détail Frédéric Jouvenot dans Europa Star Special Basel 2011).
ADAGIO par Christophe Claret et HELIOS par Frédéric Jouvenot
Le GTE, cette année, regroupait pas moins de 54 exposants, tous indépendants mais très hétéroclites – une forme de richesse, pourrait-on penser si un autre constat ne s’était imposé au cours de cette semaine horlogère: la prime aux gros est partout la norme! (Mais nous reviendrons sur ces changements structurels qui reconfigurent le paysage horloger dans notre Rétrospective-Perspective 2010/2011 publiée dans notre prochain numéro, Special Basel). Impossible donc de tous les chroniquer ici. Contentons-nous d’en pointer du doigt quelques uns, tout particulièrement dans le domaine mécanique.
Incontestablement, un des buzz majeur du GTE était la présence du tout nouvel “ancien” horloger Laurent Ferrier. Il se profile comme le nouveau le Pape du grand néoclassicisme horloger, avec un “tourbillon à secret” caché sous un ciel nocturne romantique qui est un des plus beaux émaux vus à Genève (la très connue Anita Porchet étant aux pinceaux). Mais faute de pouvoir vous le montrer ici, on en reparlera également.
Un autre horloger empreint de haut classicisme se trouvait au stand d’une nouvelle marque dont le nom dit l’ambition: Heritage Watch Manufactory. Créée par une poignée d’investisseurs réunis autour de Christian Güntermann pour lancer une marque “pour véritables connaisseurs”, avec un seul mot d’ordre, “la chronométrie”, Heritage s’est adjointe les services exclusifs d’un horloger reconnu, Karsten Fraessdorf, tout juste rescapé de la malheureuse aventure de la Fabrication de Montres Normande. Mais celui-ci, la tête bien pleine de projets tendant tous à améliorer la chronométrie traditionnelle, est arrivé avec, dans ses bagages, différentes idées-clé qui l’ont fait remarquer, comme le très grand balancier à inertie, réglé à 18’000 alternances/heure, semblable à ceux des débuts de l’horlogerie. Ce très costaud balancier Vivax, et l’échappement Sequax, dûment brevetés, sont alimentés par un barillet pourvu de deux ressorts, développant chacun 3,4 kilos, procurant 50h de force constante sur 72h de réserve de marche. Ce ne sont pas là les deux seuls brevets de ce très beau mouvement. Un autre dispositif permet de maintenir ou d’enlever le spiral sans le déformer, d’où la possibilité d’un réglage très fin. Un autre dispositif, également breveté facilite le réglage du coq.
Là où Heritage a eu le nez creux, c’est qu’outre les talents de Karsten Fraessdorf, la nouvelle manufacture a fait appel aux talents graphiques du designer en vue Eric Giroud, auteur de montres qui figurent parmi les plus remarquées de ces dernières années. De cette étonnante collaboration sont issues deux montres remarquables: la Tensus, heures, minutes, petites secondes à 6h et indication de la réserve de marche à 9h, d’apparence simple et traditionnelle, et la Magnus, heures, minutes et petites secondes, particulièrement remarquable dans sa version Contemporaine, avec son cadran à la fois volumétrique et dépouillé. Nul doute, Heritage ne démérite pas de son nom.
Chez Louis Moinet, les efforts créatifs remarquables menés par Jean-Marie Schaller depuis quelques années semblent enfin porter pleinement leurs fruits. L’année 2010 a été “excellente” et encourage la marque “à mener plus loin encore ses recherches dans les matériaux, les concepts différents”. L’horlogerie Louis Moinet telle que la conçoit M. Schaller, a en effet investi un terrain qui, désormais, lui appartient de plein droit: la relation avec les astres, qu’on avait pu voir l’année dernière sous la forme d’un planétarium d’exception, et que l’on retrouve cette année dans une pièce comme l’Astralis. Cette triple complication présente un tourbillon qualifié “d’astral” qui se détache sur une plaque d’aventurine, pierre comme constellée de petites étoiles, un chronographe rattrapante à roue à colonnes en acier bleui et un planétaire 24 heures. Ce dernier mécanisme effectue une rotation par jour et présente successivement dans un guichet quatre planètes. Celles-ci sont figurées par des plaques de météorite enchâssées sur un disque: Mars, avec un fragment d’une des 75 météorites martiennes recensées dans le monde; Mercure par un fragment de la Sahara 99555, une météorite unique, plus ancienne roche connue de tout le système solaire (on estime son âge à 4 milliards 566 millions d’années) et qui pourrait bien provenir de Mercure, sans qu’on en ait encore la certitude scientifique; Le Soleil, représenté par la météorite Itqiy, provenant d’une astéroïde qui s’est formée près du soleil; et la Lune, provenant d’une des 100 météorites lunaires recensées dans le monde. Conçue et réalisée avec un sens du détail accompli, comme l’aiguille “étoile filante” de la rattrapante, ou “goutte de rosée” des autres aiguilles, avec ses harmonieuses Côtes du Jura et son boîtier or rose 18 carats pour un diamètre de 46,50 mm, l’Astralis, éditée à 12 exemplaires, est emblématique du beau travail horloger accompli par Louis Moinet.
Plus jeune, car tout récemment créée par deux cousins, Laurent et Julien Lecamp, la marque Cyrus affiche d’emblée de solides intentions en présentant deux collections, la Kuros, une montre très volumique, bien dessinée, équipée d’un mouvement automatique base ETA 2094, taillée dans de l’or ou du titane, comportant une seconde couronne à 9h dont la seule fonction est de cacher une plaquette portant le numéro de la montre, limitée à 188 exemplaires par exécution. Mais ce n’est pas tant cette pièce qui marquera les esprits que la Klepcys, réalisée en collaboration avec Jean-François Mojon (auteur entre autres de la remarquée Opus X). Triple complication, elle propose un affichage étonnant (partiellement inspiré de certaines recherches avancées d’Urwerk): L’heure se lit sur un secteur de 180° par le biais d’une forte “aiguille” rétrograde composée de dés qui, en tournant, marquent alternativement le jour et la nuit. Les minutes et les secondes se lisent linéairement dans le prolongement intérieur de cette aiguille, sur deux disques centraux respectifs.Entre 1h et 4h, une date rétrograde est indiquée également à l’aide d’une échelle de 0 à 9 et d’un dé portant les dizaines. Enfin, très beau détail, à 5h on découvre une lune sphérique hyperréaliste qui affiche les phases de l’astre grâce à un cache demi-sphérique qui vient progressivement recouvrir la surface lunaire. Pour des “débutants”, c’est tout à fait remarquable.
TENSUS par Heritage Watch Manufactory, ASTRALIS par Louis Moinet et KLEPCYS par Cyrus
Toujours dans le domaine mécanique, une toute autre initiative provient de Pierre Thomas, une marque fondée par Pierre Galli, cadranier de métier, et Thomas Engeler, horloger-constructeur. Tous deux, ont glissé un large et très aérien tourbillon de leur conception dans d’anciens mouvements Fontainemelon, des ébauches datant de 1870. Placé à 8h et monté sur deux bras, ce grand tourbillon offre une vue splendide sur son fonctionnement, placé qu’il est dans un “puits” de lumière qui traverse tout le mouvement. La réalisation est à la hauteur de leur ambition classique. Autre démonstration d’excellence traditionnelle, un tout aussi pur heures, minutes et petites secondes (à 6h ou à 9H) proposé sur une base mécanique datant de 1930. De superbes finitions, des cadrans de nacre noir, blanc, de météorite ou laqué brun ou rouge, un boîtier bombé cylindrique parfaitement dessiné de 49 mm de diamètre pour une épaisseur de 12,70 mm. Une offre modeste en quantités – 100 pièces pour le tourbillon, 200 pour l’heure, minute, petites secondes – mais excellente en qualité.
Impossible de rendre compte de toutes les initiatives mécaniques vues au GTE ou dans les hôtels genevois. Nous reviendrons sur nombre d’entre eux, exposants également à Bâle, dans Europa Star Special Basel 2011.
Ces merveilleux fous volants
Mais, pour clore autant que possible cette folle semaine sur une note différente, et afin de montrer que si le néo-classicisme est bel et bien revenu sur les devants de la scène, des horlogers, à la marge, tentent toujours les plus folles propositions, faisons un petit tour final du côté de chez HD3 et de chez Artya.
A leur manière si différente, ces deux marques montrent les deux horizons opposés de l’horlogerie. A sa façon provocante, Jorg Hysek, cofondateur de HD3, cherche à démontrer que le jeu physique des rouages, des bielles, des cames et autres organes réglants touche à sa fin. Il a conçu un sobre boîtier de très haut de gamme, qui ne renferme aucun mouvement mais donc la glace cambrée est en fait un écran tactile. A la façon d’un smart-phone, il suffit alors d’un glissement des doigts pour faire apparaître toutes sortes de garde-temps virtuels, remplissant toutes les fonctions désirées. Une montre qui change d’apparence à volonté et qui, électronique oblige, permet aussi de stocker des photos ou d’être utilisée comme un agenda. A 4’000 euros hors téléchargement des divers modules disponibles, la Slyde prendra-t-elle?
A l’opposé, un Yvan Arpa, provocateur-né lui aussi, parie sur l’individualisa-tion extrême de montres dont il traite le boîtier à la foudre. Mais il va désormais plus loin et, non sans humour, farçit ses mouvements apparents de composants électroniques utilisés en décor ou emprisonne d’horribles insectes dans une glu de son invention. L’horlogerie vu par Arpa se libère de tout bon goût, de tout politiquement correct. Une horlogerie dadaïste. Après tant de “bon goût”, un peu de “mauvais goût” volontaire fait du bien et aide à remettre les choses à leur place.
TOURBILLON par Pierre Thomas, SLYDE par HD3 et SPIDER par Artya
Source: Europa Star Première Vol.13, No 1