Aux côtés de la Suisse, l’Allemagne a toujours été un grand pays horloger, avec deux pôles principaux: dans le Sud la région de la Forêt Noire et au Nord-Est la région de Dresde, dans la Saxe. Là, l’essentiel de l’industrie horlogère s’est historiquement concentrée à Glashütte, un village serré au fond d’une petite vallée, à l’écart des grandes routes commerciales. Il est étonnant de relever les nombreuses similitudes entre Glashütte et les berceaux de la haute horlogerie suisse que sont la Vallée de Joux ou l’Arc Jurassien.Même isolement, même population laborieuse, même environnement montagneux. Mais les analogies s’arrêtent là car l’horlogerie, à Glashütte, a commencé avec plus d’un gros siècle de retard par rapport à celle de la Vallée de Joux.
Ce n’est qu’en 1845 que Ferdinand A. Lange et d’autres, comme Julius Assmann, Adolf Schneider ou Moritz Grossmann jettent les bases de l’horlogerie à Glashütte. Dès le départ, leur caractéristique principale, suivant en cela la tradition établie à Dresde, est la volonté de produire des instruments scientifiques. Pour ces pionniers, c’est avant tout la notion bien allemande de “précision” qui importe. L’approche esthétique ne prendra de son importance que plus tard, vers 1870.
Mais contrairement à la Suisse, épargnée par les grands bouleversements historiques, l’Allemagne a subi de plein fouet crises, guerres et changements de régime. Glashütte a ainsi failli disparaître de la carte horlogère à plusieurs reprises: après la Grande Guerre suivie d’une crise économique dévastatrice; puis après la Deuxième Guerre Mondiale quand le régime communiste mis en place en Allemagne de l’Est bouleverse les structures en place et oriente toute la production vers une offre de masse de montres à bon marché. Mais à chaque fois, Glashütte relève la tête et, à l’image de A. Lange & Söhne ou de Glashütte Original, ou encore de Tutima, renaît de ses cendres.
Les liens entre Glashütte et la Suisse sont complexes et riches. Jusque dans les années 20, les Suisses livrent des mouvements compliqués à Glashütte où les horlogers excellent (à tel point que les Suisses fabriquent aussi de fausses montres signées Glashütte, d’où l’adjonction par les Allemands du terme “Original”). Mais au cours de la grande crise économique, les Suisses coupent tout approvisionnement aux Allemands, afin de protéger leur propre production. Au cours des années 30, les échanges reprennent et le “sauveur” de Glashütte, le Dr Ernst Kurtz, s’approvisionne en machines auprès des Helvètes, organise des transferts de compétence si bien qu’il parvient même à briser le monopole des Suisses, notamment dans le domaine des chronographes. Plus près de nous, après la chute du Mur, ce sont à nouveau les Suisses qui vont permettre la renaissance de la haute horlogerie de Saxe.Car si c’est bel et bien un Allemand, Günter Blümlein, qui relance l’activité de Lange, il peut y parvenir car il s’appuie sur le savoir-faire de Jaeger-LeCoultre et d’IWC qu’il dirige alors,mais qui appartiennent à cette époque à Mannesman, grande entreprise allemande. Puis c’est le Swatch Group qui reprend Glashütte Original. Preuve en est de cette étonnante imbrication, le très beau Deutsche Uhren Museum, sis à Glashütte et inauguré en 2006, porte en sous-titre le nom de son fondateur: Nicolas G.Hayek!
Source: Europa Star Première Vol.13, No 5