Toutes les marques qui se respectent cherchent à former au mieux leurs plus importants “prescripteurs”: celles et ceux qui, dans les boutiques, sont en contact direct avec le client “réel”. Car la décision finale d’achat dépend souvent d’un petit “détail” qui fera la différence. Encore faut-il connaître ces décisives subtilités et savoir les faire partager.
Cette connaissance est d’autant plus importante dans le cas précis de A. Lange & Söhne que son offre peut à première vue apparaître d’un style quelque peu sévère aux yeux d’un client qui n’est pas encore initié aux arcanes de la Haute Horlogerie.D’autant plus qu’au-delà de son apparence classique, l’essentiel attrait et les atouts décisifs de la marque saxonne reposent précisément sur ces petits détails,d’ordre technique et esthétique,souvent invisibles mais qui font la grande différence. Or pour connaître véritablement l’importance de ces détails, et donc être en mesure de les communiquer, le savoir livresque ne suffit pas. Il faut en avoir fait l’expérience réelle. Il faut avoir côtoyé les horlogers, avoir discuté avec les concepteurs et les ingénieurs, s’être assis soi-même à un atelier, il faut avoir manié pinces, tournevis et outils, s’être escrimé à monter un mouvement, à polir un chaton, à graver un coq de balancier, à exécuter le perlage d’une platine, à bleuir une vis, à monter un spiral...et j’en passe. Il faut également avoir éprouvé l’esprit particulier de la manufacture, avoir une connaissance approfondie de son histoire, du contexte dans lequel elle est née et a évolué. Il faut être allé à Glashütte et avoir humé l’air de la Saxe. Il faut connaître l’arbre et ses racines.
Ambasssadeurs, coachs et experts
Cette mission de transmission d’un savoir, passant essentiellement par l’expérience concrète, est celle dévolue à la A. Lange & Söhne Akademie, sise à Glashütte. Dirigée par Joanna Gribben-Lange, cette Akademie se veut bien plus qu’un simple cours conventionnel, qu’un stage ou qu’un séminaire de formation à la vente. Car il s’agit d’une véritable “immersion” au cœur de la manufacture de Glashütte, conçue en plusieurs étapes se déroulant sur deux ou trois ans et sanctionnée par l’obtention de “titres”: “ambassadeur Lange”, puis, étape suivante “coach Lange” et enfin “expert Lange”.
Entièrement prise en charge par la Manufacture, cette formation très approfondie s’adresse en priorité à tous les concessionnaires de la marque dont chacun devrait disposer, en son sein, d’un “ambassadeur”, voire d’un “expert”. Aujourd’hui, on compte déjà à travers le monde environ 300 “ambassadeurs Lange” certifiés qui sont passés par au moins la première phase de cette formation continue et 62 “experts Lange” ayant parcouru tout le cycle de formation.
Première étape, l’immersion
La première phase, telle que nous en avons nous-même fait l’expérience au mois de juin dernier (car depuis peu Lange a ouvert son Akademie aux journalistes spécialisés et aux collectionneurs) se déroule sur trois jours. Le programme, dense et riche, commence par une visite très détaillée et argumentée de la manufacture, faisant passer le “stagiaire” par toutes les phases successives de la production d’une montre, à commencer par la fabrication de ses composants (l’essentiel étant produit par un impressionnant parc de machines d’électroérosion à fil – pas d’étampage chez Lange!) puis, rare privilège pour l’observateur, la production des spiraux, que Lange maîtrise à l’interne depuis 2003. Viennent ensuite l’assemblage (chaque mouvement est assemblé et réglé deux fois, à la main, la première fois avant décoration finale) et l’emboîtage. Tout au long, l’accent est mis sur les impitoyables tests de qualité qui ponctuent régulièrement les diverses phases de la production (il faut par exemple avoir de ses yeux vu le terrible “marteau” qui frappe avec violence les montres, les expédiant contre un mur). Point d’orgue de cette première immersion: le département finitions qui est le lieu d’excellence absolu de la marque (sur 470 employés, 70 personnes ne s’occupent que de terminaison). Toutes les pièces y passent, sans exception, qu’il s’agisse de polissage plat (de 20 minutes à plusieurs heures selon les composants), de biseautage ou d’anglage, opérations menées par des employés dont la formation spécifique à ces techniques (et à ses secrets, tels la pâte abrasive faite maison ou les bois durs récoltés dans les environs) est d’au minimum de deux ans. Trois ans de formation sont par contre nécessaires pour accéder au titre de graveur. Six graveurs s’emploient à graver systématiquement, à la main exclusivement, tous les coqs de balancier qui équipent les montres Lange, ainsi que les ponts (“honey gold”, un or spécial créé pour Lange, plus dur que le platine et maillechort sont les matériaux principalement utilisés).
Production de ressorts
De l’établi aux racines
Mais c’est le passage aux exercices pratiques qui donne tout son sel à l’expérience. C’est le fait de s’essayer soi-même directement à l’assemblage, au polissage ou à la gravure qui démontre avec le plus d’éloquence la difficulté de la tâche. Il faut en effet s’être essayé à polir un “simple” chaton d’or puis à le visser dans son logement pour comprendre que la perfection est un long, très long chemin.
Particulièrement fier de mon propre polissage du fameux chaton, dont j’avais méticuleusement observé la qualité à la loupe, je compris tout le chemin qui me restait à accomplir quand mon superviseur me le rendit en me disant qu’il y avait encore 5 ou 6 rayures et griffures. Totalement invisibles à mes yeux mais que l’on me montra sous un angle spécifique de la lumière.
Cette immersion pratique dans l’univers en minuscule au sein duquel se meut l’horloger dessille véritablement les yeux de celui qui s’y prête et je sais que désormais, jamais plus je ne verrais une montre avec le même oeil qu’auparavant.
Le troisième aspect de cette première phase, non moins important car il permet de comprendre les racines historiques de cet art horloger saxon si particulier, consiste en une visite des lieux, notamment à Dresden, toute proche, et une découverte des travaux scientifiques et des chefs d’œuvre artisanaux qui firent l’éclat de la Saxe et qui sont au fondement du renouveau horloger actuel. Les racines, en quelque sorte.
Coach puis enfin expert
Au cours de la seconde phase de la formation dispensée par l’Akademie, le nouvel “ambassadeur Lange” doit s’exercer, lors de trois séances réparties sur une année, à transmettre ce qu’il a appris. Assisté par le responsable de son marché, disposant d’un matériel pédagogique spécifique, il a pour tâche d’initier ses propres collègues à l’univers Lange, afin d’obtenir son certificat de “coach Lange”.
Troisième phase et retour à la manufacture de Glashütte pour accéder enfin au titre “d’expert Lange”. Trois jours sont alors consacrés à un approfondissement des connaissances acquises, par le biais de discussions de points précis avec les constructeurs, les développeurs et les maîtres-horlogers. Par ailleurs la formation horlogère de base, portant notamment sur les fonctions et les complications, est menée plus avant. Enfin est proposé un coaching personnalisé portant sur les stratégies d’entretiens et de vente.
Au terme de ce cursus, l’aspirant accède enfin au club exclusif des “experts Lange”. Membre de plein droit, il participera dès lors à des cours spécifiques et des manifestations et deviendra un interlocuteur reconnu de la marque. Car l’objectif de Lange est double: former des “porteurs de flambeaux” Lange capables de transmettre “le feu” de la marque et, en retour, avoir pour interlocuteurs des femmes et des hommes qui sont chaque jour sur le terrain concret des marchés, d’où ils peuvent faire remonter de précieuses informations et indications. Une Akademie pour tout le monde, en quelque sorte.
Source: Europa Star Première Vol.13, No 5