Guillaume Tetu, désormais seul capitaine à bord de la “barque” Hautlence (son coéquipier Renaud de Retz ayant cédé aux chants des sirènes et quitté l’horlogerie pour la musique) a toujours posé ouvertement ses cartes sur la table. Après une traversée de crise qui a malmené la petite marque indépendante (Hautlence a vendu 900 montres depuis sa création en 2004) et a chamboulé son business plan, tout était à reprendre, non pas tant au point de vue des produits eux-mêmes qu’au plan de la distribution internationale. Courageusement soutenu par un actionnariat contrôlé en majeure partie par un groupe d’investisseurs français et suisses convaincus par le virage stratégique proposé, Guillaume Tetu a agi radicalement.
Première mesure: cesser toute distribution via des distributeurs officiels contrôlant un territoire ou un groupe de territoires pour traiter directement avec les détaillants. Vingt points de vente ont été fermés et tous les stocks ont été repris. De nouveaux points de vente ont été ouverts mais sans intermédiaires, en direct de la marque au détaillant. "Je pars du point de vue que les détaillants n’ont pas besoin de nous", explique très franchement Guillaume Tetu. "A nous donc d’être extrêmement persuasifs, de les conforter et de leur démontrer que nous ne sommes pas du tout un one-shot, comme on en a vu beaucoup ces dernières années.“La tâche est ardue, d’autant plus que”tout est à refaire, aux USA comme en Amérique du Sud. L’ Europe et la Suisse sont un cas à part car, sur ces territoires, nous avons mieux traversé la crise et n’avons pas fermé une seule enseigne." L’objectif de cette opération est de parvenir à ouvrir 50 points de vente, pour écouler de 500 à 1’000 pièces par an, “un plan à long terme”, précise aussitôt Guillaume Tetu.
Guillaume Tetu
Création de l’Atelier d’Horlogerie Contemporaine
Pour parvenir à cet objectif quantitatif, Hautlence entend ouvrir sa palette de produits et proposer notamment des pièces plus abordables et plus commerciales (aujourd’hui, le prix moyen s’établit à 54’000CHF), sans pour autant dévier de la ligne qui fait toute l’originalité et la spécificité de la marque: travailler avant tout sur l’affichage mécanique plutôt que décliner les complications traditionnelles.
Mais passer ainsi à la vitesse supérieure implique aussi une transformation des modes et de l’outil de création et de production. Un atelier a ainsi été créé tout récemment à La Chaux-de-Fonds qui regroupe l’ensemble des forces vives de la marque. Vaste, lumineux, établi au cœur de la ville, il a aussi pour avantage d’être proche du tissu des fournisseurs de l’Arc jurassien avec lesquels Hautlence collabore très étroitement.
Car “Hautlence n’est pas une manufacture, ce serait ridicule de le prétendre”, affirme Guillaume Tetu, “mais un Atelier d’Horlogerie Contemporaine. C’est ainsi et très précisément que nous nous définissons. Un Atelier, car nous y concevons les mécanismes, créons les formes, mettons au point les méthodes et plans de fabrication, réalisons les prototypes et montons, assemblons, emboîtons et contrôlons l’intégralité de nos produits. Un Atelier d’Horlogerie Contemporaine car nos produits sont tous innovants et ont la particularité de proposer de nouveaux modes d’affichage. Horlogerie Contemporaine aussi parce que nos codes de lecture et nos codes stylistiques ou architecturaux sont résolument contemporains, issus d’une profonde réflexion mécanique. Et aussi parce que nos outils sont contemporains – CAD, simulations 3D, CNC – qui nous permettent de repousser certaines limites technologiques. Je pense par exemple aux engrenages et pignons coniques que nous avons créée pour la HL2.0.”
Cet outil, cet Atelier (où travaillent une dizaine de personnes) offre à Hautlence la maîtrise complète de sa créativité sur un seul lieu. Décolletage, usinage des composants, des boîtiers et des cadrans, tout comme tout ce qui concerne la décoration, le polissage, l’anglage, se font à l’extérieur mais non loin: 90% des composants d’une Hautlence proviennent du seul canton de Neuchâtel. Ce qui permet à Hautlence de signer ses pièces non pas d’un “Swiss Made” dont on sait qu’il permet bien des manipulations, mais d’un fier “Horlogerie Suisse”.
L’exemple de la HL2.0
A titre de démonstration du processus créatif emprunté par Hautlence dans la conception d’un produit, et des compétences réunies au sein de cet Atelier d’Horlogerie Contemporaine, Guillaume Tetu prend en exemple la dernière-née de la marque, la montre HL2.0.
Nous ne rentrerons pas ici dans les détails techniques de cette montre extrêmement innovante (à ce sujet, lire l’article Watchmaking 2.0 by Hautlence dans Europa Star 2/11 ou sur www.europastar.com), première montre à présenter un organe réglant sautant. Mis en œuvre en 2007, le projet, après les systèmes développés précédemment d’affichage de l’heure par disque sautant et minute rétrograde liés par bielles, consistait essentiellement à “ajouter une dimension volumique grâce à l’affichage de l’heure par une chaîne de 12 maillons”, entraînant à chaque passage d’heure une rotation lente (4 secondes) de l’organe réglant positionné verticalement.
On imagine aisément le nombre de contraintes techniques et énergétiques réclamées par un tel mécanisme. Tant et si bien qu’ Hautlence – qui a collaboré sur ce projet avec Philippe Ruedin, constructeur indépendant – a opté pour le développement de son propre calibre, à même de parfaitement gérer les énergies particulières demandées par ce mécanisme. Plus de quatre ans furent nécessaires pour mettre au point ce nouveau calibre à remontage automatique unidirectionnel, avec rotor décentré, indication de la réserve de marche (45h) et double barillet (le barillet de remontage fournissant l’énergie au barillet de la complication). Trois brevets ont été déposés au cours de ce complexe et inédit développement, portant sur la chaîne semi-traînante des heures, l’organe réglant intégré au mouvement sur baguette mobile, et l’apport énergétique des deux barillets. Un développement passant, entre autres, par des recherches d’antériorité, puis des études sur le remontage automatique, la réserve de marche, la construction 3D, le montage des prototypes de remontage automatique avec rotor décentré, des bancs d’essai et d’analyse chronométrique, le prototypage des barillets, puis l’intégration progressive de tous les sous-ensembles dont est constitué le mouvement, les bancs d’essai et tests avant le lancement de la fabrication des premières séries de composants de l’organe réglant, puis des barillets etc, etc.
Par ailleurs, comme une parfaite illustration du principe de Hautlence qui veut que l’esthétique de la pièce découle de la mécanique horlogère, deux designers consultés en parallèle et sans concertation (Claudio d’Amore et Bibi Seck) produisirent grosso modo la même proposition, répondant au défi de transparence maximale que ce mécanisme spectaculaire appelle comme tout naturellement. Au final, le boîtier disparaît presque intégralement, remplacé par une glace saphir tridimensionnelle taillée dans la masse (une glace si complexe que seule une firme chinoise a accepté de la réaliser...!) qui donne la sensation de porter presque à nu cette véritable sculpture cinétique au poignet.
HL2.0
Devenir une “marque”
La HL2.0, pièce d’exception, est à coup sûr un moyen efficace d’attirer les feux de la rampe sur le nom Hautlence. Mais pour autant, cet intérêt médiatique – et commercial, espérons-le – ne fait pas de Hautlence une “marque”, au plein sens du terme. “La construction d’une véritable marque est l’étape suivante et nécessaire dans laquelle nous nous engageons désormais, avec notre Atelier d’Horlogerie Contemporaine”, explique Guillaume Tetu. “Il y aura à l’avenir d’autres pièces d’exception, sur lesquelles nous travaillons déjà, mais notre premier objectif est désormais d’arriver avec des pièces plus abordables, dans les 20’000.-CHF. Ces pièces sont très importantes dans le cadre des nouvelles relations avec nos détaillants. Outre la nécessaire animation supplémentaire qu’elles apporteront, elle nous permettront aussi de parvenir au seuil critique qui nous autorisera, au-delà des seuls produits d’exception, de nous considérer enfin comme une véritable marque, identifiable et pérenne.”
Source: Europa Star Première Vol.13, No 5