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Audemars Piguet - Royal Oak, l’arbre qui cache la forêt

December 2011


Audemars Piguet fête cette année les 40 ans de la Royal Oak, les 20 ans de sa déclinaison “extrême” Offshore et les 20 ans de la Fondation Audemars Piguet. Celle-ci a pour emblème un chêne encerclé dans le fameux profil à 8 pans de la Royal Oak, profil ponctué des non moins fameuses vis apparentes qui, à l’époque, avaient été jugées presque comme un crime de lèse-horlogerie.

Ce design alors contesté, dû au regretté et génial Gérald Genta, a néanmoins rencontré très rapidement un immense succès, qui perdure largement et qui a même suscité de nombreuses inspirations. Ce succès s’explique largement par le fait que le design de la Royal Oak n’a rien de gratuit mais est tout entier au service d’un concept novateur lors de son lancement: faire une montre de sport de luxe, mécanique (on est en 1972, trois ans avant le déclenchement de la “crise du quartz”) et taillée dans de l’acier. En d’autres mots, concilier l’innovation et la maîtrise horlogère, tout en abordant un terrain alors neuf pour l’horlogerie, le lifestyle.

Une publicité créée pour son lancement le dit bien "A price like that, he teased, and they don’t even hide the screws", déclare un gentleman accoudé au bastingage d’un yacht. Son succès, la Royal Oak le doit aussi à la grande faculté d’adaptation démontrée par son design, précisément. Au fil de ses 40 ans, la Royal Oak s’est ainsi déclinée tout au long de l’éventail horloger: classique, très plate, squelettée, accompagnée de complications horlogères, pavée, joaillière ou au contraire extrême, rude, ultra-sportive. Mais en même temps qu’elle a fait la fortune d’Audemars Piguet, la Royal Oak lui fait aussi courir, aujourd’hui, un risque: les larges branches du chêne ne font-elles pas de l’ombre aux autres collections et propositions de la marque? Ne phagocytent-t-elles pas son identité?

Audemars Piguet - Royal Oak, l'arbre qui cache la forêt
Philippe Merk, CEO d’Audemars Piguet

Philippe Merk, CEO d’Audemars Piguet, répond aux questions d’Europa Star.

Philippe Merk: Peut-être que le succès de la Royal Oak et l’étendue de sa collection peuvent- ils faire croire à certains consommateurs que le nom Audemars Piguet se résume à Royal Oak – ce qui n’est déjà pas si mal, convenez-en. Et certainement devons-nous travailler à un repositionnement plus précis de notre marque. C’est ce que nous faisons en ce moment: injecter toujours plus d’horlogerie, non seulement dans nos produits, mais aussi dans la conscience du consommateur. Lui démontrer, lui faire savoir, qu’au-delà du lifestyle et de ses succès indéniables, Audemars Piguet c’est un ensemble extraordinaire. C’est une manufacture complète, une maîtrise des métiers horlogers et de l’artisanat d’art, c’est un savoir-faire accumulé de façon ininterrompue depuis 1875. C’est aussi, avec Renaud & Papi, un département de recherche, de développement et de production spécialisée, un incubateur incroyablement innovant et de très haut niveau. Sans parler du fait, et c’est très important aujourd’hui, que c’est aussi une famille, une longue histoire d’indépendance, liée à un territoire spécifique, la Vallée de Joux, le berceau des horlogers. Vous voyez, les angles d’attaque et les messages à faire passer sont nombreux.

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ES: Et ce, précisément, alors que la Royal Oak fête ses 40 ans...

PhM: Au cours de ses 40 ans, la Royal Oak a beaucoup évolué tout en restant très identitaire. C’est sa force mais du fait de sa diversité même, elle parle aujourd’hui à des consommateurs très différents les uns des autres. A elle seule, la Royal Oak est devenue effectivement un arbre, dont les branches vont d’ailleurs continuer à pousser. Mais nous devons partout faire passer le message horloger, notre plus profonde légitimité, et conserver le cœur de ce qu’est la Royal Oak, une montre d’élégance, porteuse de valeurs subtiles. Prenez par exemple les trois nouveaux modèles de Royal Oak Offshore 44 mm lancés en 2011: chaque élément a été retravaillé, les poussoirs redessinés pour y apporter une touche supplémentaire de sophistication. Extrême, peut-être, mais avec élégance, sophistication, détails horlogers.

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ES: Et qu’en est-il des autres collections?

PhM: Nous avons présenté cette année une nouvelle collection Millenary qui a été très bien accueillie par notre réseau et qui est lancée cet automne sur les marchés. La Millenary 4101 est équipée d’un nouveau mouvement de forme, le calibre 4101, un mouvement de très haute horlogerie, de très bonne chronométrie qui, avec ses quelque 12 à 13 ponts est un petit “Venise” horloger en-soi. Particularité: l’assortiment et l’échappement ont été disposés sur la face supérieure du mouvement, ce qui donne une pièce à la fois très spectaculaire, très horlogère et d’une grande élégance classique. Un produit qui est aussi un message fort sur ce qu’est Audemars Piguet et ce que nous sommes capables de faire. Un autre de nos mouvements maison, le mouvement de base 2120, un extra-plat de 2,45mm vient animer de nouvelles offres dans la collection classique Jules Audemars. Une très belle collection qui s’étage aujourd’hui d’une extra-plate manuelle à un nouveau Quantième Perpétuel, en passant par une petite seconde automatique d’une grande pureté, un tourbillon grande date ou encore un Quantième à phases de lune, un double fuseau horaire. Là on est dans l’expression la plus aboutie de notre tradition horlogère la plus rigoureuse. Vous voyez, le spectre est large.

ES: Audemars Piguet, c’est environ 30’000 pièces par an, dit-on. Comment allez-vous affronter dans l’avenir le problème de l’approvisionnement, suite au changement de stratégie du groupe Swatch et de Nivarox?

PhM: Je n’ai pas de souci particulier à ce sujet. Nous trouverons les solutions, nous avons déjà des solutions, dirais-je, nous avons le réseau, les contacts nécessaires mais nous restons ouverts en attendant que la situation se clarifie. Je comprends la position du Swatch Group et ai beaucoup de respect pour les énormes investissements industriels concédés. Nous ne serons pas bloqués et les solutions sont purement horlogères, dirais-je, pas micro-techniques. Par ailleurs nous investissons dans de nombreuses directions et nous allons construire à Genève une nouvelle usine, destinée quant à elle plus particulièrement à l’habillage.

ES: Et qu’en est-il du fameux Echappement Audemars Piguet, présenté comme une solution révolutionnaire?

PhM: Pour l’instant, cet échappement à très haut rendement et grande réserve de marche est encore réservé à des pièces très compliquées, dans le très haut de gamme horloger. Mais nous travaillons activement à son industrialisation, qui n’est pas une mince affaire. Il y a encore des problèmes à régler dans le cadre de ce processus entamé en vue d’une production de masse. Ça viendra en temps voulu.

Audemars Piguet - Royal Oak, l'arbre qui cache la forêt MILLENARY 4101, JULES AUDEMARS, 2120 BASE CALIBRE

ES: Et sur le terrain de la distribution où les grands groupes sont à la manoeuvre, comment un indépendant, aussi grande soit sa notoriété, se débrouille-t-il?

PhM: Audemars Piguet a un fort contrôle de ses différents marchés car nos sommes structurés en filiales, 15 en tout. Depuis plusieurs années nous menons un travail de requalification, toujours en cours, de notre réseau de détaillants. Mais les situations diffèrent grandement d’un marché à l’autre, aussi selon notre degré d’implantation, sa profondeur historique, et demandent des réponses différentes. Les USA, par exemple, restent traditionnellement un marché très important pour nous, nous y sommes extrêmement bien implantés, connus, et c’est un marché qui continue à très bien fonctionner pour nous. Mais le monde est à deux vitesses, si l’Asie boume, l’Europe ralentit, comme l’Italie, par exemple, un marché emblématique mais qui manque aujourd’hui de dynamisme. En Chine, notre grand défi actuel est de pénétrer désormais dans les villes dites ’moyennes’, bien qu’elles concentrent parfois des millions d’habitants. Nous y avons une filiale, un SAV sur place, nous nous en donnons progressivement les moyens même si les grands groupes y sont encore bien plus puissants qu’ailleurs. Hong Kong reste notre plus grand marché et nous enregistrons par ailleurs un développement formidable en Amérique du Sud. Le Mexique marche très fort pour nous et l’Argentine est désormais un de nos marchés établis.

ES: Vous êtes-vous lancés, comme beaucoup, dans une large politique de boutiques en nom propre?

PhM: Il y a toujours du pour et du contre dans la stratégie de développement forcené des boutiques et il convient de trouver un juste équilibre. En tant qu’indépendants, nos liens directs et privilégiés avec les détaillants sont centraux. Cette relation de confiance, historique et sur le long terme est un précieux atout dans la féroce bataille aux vitrines qui se déroule un peu partout. Ceci dit, nous avons un réseau de 25 boutiques, dont 10 que nous gérons directement. Même si la rentabilité d’une boutique est souvent délicate à équilibrer, il est important de pouvoir présenter aux consommateurs l’intégralité de notre offre et de notre identité, ainsi que de lui offrir des prestations et un service exceptionnels. Ce lien direct avec le client final est précieux, aussi pour les retours que nous en avons, les ’remontées de marché’. Nous n’allons donc pas nous précipiter pour ouvrir à tout prix de nouvelles boutiques, mais réfléchir en termes de marché-clés et de consommateurs-clés afin de cibler au plus près nos besoins, dans le cadre de stratégies globales qui n’oublient jamais le détaillant. Et qui laissent toujours une large place à l’affirmation de notre profonde identité horlogère.

Source: Europa Star Première Vol.13, No 6