Rencontre avec Ottavio Di Blasi
“Un stand n’est pas une vitrine, c’est une machine à vendre”. D’emblée, Ottavio Di Blasi tient à mettre les points sur les “i”. Il a l’autorité pour le dire car c’est à lui que l’on doit quelques uns des stands horlogers les plus remarquables, dont les deux stands spectaculaires réalisés pour TAG Heuer à Bâle, en 1994 puis en 2007.
Affable, modeste, sympathique, Ottavio Di Blasi n’est pas un “designer” spécialisé dans les stands et les images de marque. C’est un architecte aussi renommé que polyvalent, qui, à la tête du studio milanais ODB Architects et d’Ottavio Di Blasi & Partners, a réalisé et collaboré à de nombreux ouvrages architecturaux d’importance. Parmi ceux-ci, citons le fameux Stadio S. Nicola de Bari, réalisé en collaboration avec Renzo Piano, ou encore de nombreuses églises dans le sud de l’Italie.
“Mon succès chez les horlogers provient directement de ma pratique architecturale”, estime-t-il, “car, comme en architecture, concevoir un projet de stand pour une marque donnée c’est trouver la synthèse formelle et constructive qui réponde à des problèmes et des besoins provenant de niveaux très différents. Mais une synthèse n’est pas une création magique. C’est le fruit d’une réflexion commune, menée en profondeur. Réfléchir sur un stand et sur sa forme, en n’oubliant jamais ses fonctionnalités, ouvre une phase de réel examen de l’identité la plus profonde de la marque. On pourrait presque comparer ça à une psychanalyse. L’attitude à éviter à tout prix est celle qui consisterait à suivre les indications du marketing. Par définition, le marketing est une façon de répondre le plus adéquatement possible aux demandes du marché et aux offres concurrentes à un moment donné. Le marketing doit donc sans cesse s’adapter et est toujours en mouvement. Un stand, c’est tout autre chose: il doit s’inscrire de façon mémorable dans une certaine durée – par exemple pas loin de 15 ans de durée de vie pour le premier stand TAG Heuer!”
Rupture
A l’époque de la construction de ce premier stand, en 1994, nous écrivions dans Europa Star que “le nouvel et remarquable Espace TAG Heuer rompt radicalement avec le concept traditionnel de stand d’exposition.” Et nous expliquions que, contrairement à toutes les habitudes d’alors, celui-ci “ne comporte aucun élément décoratif car c’est la structure elle-même qui, par la tension des arcs extérieurs qui la maintiennent et le choix des matériaux utilisés (acier, bois d’érable et fibre de carbone, utilisée pour la toute première fois dans un bâtiment) exprime avec force la philosophie de la marque.”
On retrouve dans cette brève description l’essence de l’approche architecturale d’Ottavio Di Blasi. Car ce n’est pas un quelconque décor ni une seule apparence mais bien l’innovation architecturale mise en oeuvre tant dans la structure, la modularité intégrale des éléments et le choix des matériaux qui exprime ici directement les valeurs de “force, de vigueur, de tension et d’équilibre alliées à une forme de noblesse et de prestige” qui sont au coeur de la marque TAG Heuer. Autre point essentiel de cette approche architecturale: détails et finitions ne trouvent leur beauté que pleinement justifiée par leur fonctionnalité. En d’autres termes, aucun geste n’est gratuit, rien n’est là “pour le décor”.
Représenter le temps dans l’espace
Cette grande réussite, qui permet à Ottavio Di Blasi de pouvoir affirmer “que cette construction à fortement contribué au renforcement de l’identité de la marque”, a été suivie par un deuxième stand TAG Heuer, inauguré en 2007. Entre temps, la marque avait changé de propriétaire, passant aux mains de LVMH. Mais, c’est à nouveau Ottavio Di Blasi qui remporta un large concours international. “D’une certaine façon,” explique-t-il, “l’approche conceptuelle de ce deuxième stand a été plus philosophique. Depuis Einstein, on ne peut plus représenter le temps par une flèche à la course linéaire. Le temps est devenu aussi de l’espace et le représenter implique un travail spatial.”
Cette représentation du temps et de l’esprit de la marque, pensée conjointement avec les nécessités pratiques de la “machine à vendre”, a amené Di Blasi et son équipe à imaginer une forme aux arrêtes vives mais prise dans un mouvement hélicoïdal qui culmine en une haute pointe avancée au-dessus des visiteurs qui s’en approchent. La façade est composée de solides modules triangulaires en acier de 10mm d’épaisseur qui ont toutes la même dimension et s’agencent en prismes. Comme coupée en deux par une faille en lignes brisées, la façade s’ouvre sur un escalier permettant d’accéder aux étages supérieurs de ce bâtiment à trois niveaux. A l’intérieur, un vaste lobby faisant aussi office de bar et de lieu d’exposition, 4 salles de conférences, 2 cuisines, un studio de photo et 30 bureaux de vente.
“Nous avons mené une étude très poussée et très détaillée pour que ces bureaux de vente soient le plus adapté possible à leur fonction: confort, éclairage, ventilation, répartition et distribution des collections, tout est important. Le vendeur a à disposition un petit tableau de bord d’où il commande l’éclairage, variant d’intensité en fonction des moments - accueil, discussions, présentation des collections -, les outils multimédia, le conditionnement d’air. Celui-ci fonctionne selon le système”air lake“à faible débit. Tout est fait pour le confort optimal du client.”
Un laboratoire de recherche
"BaselWorld est à ma connaissance la seule foire au monde qui permette ça. C’est comme un laboratoire de recherche: on peut y expérimenter des techniques qui pourront être utilisées par ailleurs. Par exemple, le projet de l’Université de Novarra sur laquelle je travaille présentement est par certains de ses aspects directement inspiré du stand TAG Heuer. Bâtir un stand, c’est comme bâtir une maison complète: les règles sont les mêmes, sans les problèmes d’étanchéité, certes, mais avec l’obligation de n’employer que des matériaux ignifugés et, surtout, une technologie adaptée au montage, démontage et stockage. C’est très intéressant pour un architecte car il va devoir trouver là des solutions qui vont devenir de plus en plus opérantes par ailleurs. Car de plus en plus, la construction s’oriente vers les techniques dites “à sec”, c’est à dire qui ne recourent pas au béton ni au ciment. D’autre part, il faut aussi tenir compte du degré très élevé d’utilisation de ces espaces: 140 personnes y travaillent et les lieux reçoivent 10’000 visiteurs en une semaine. La densité y est énorme."
Tailler dans le cube
Etant donné les coûts très élevés, non seulement de location des lieux, mais aussi de construction, de manutention – pour le stand TAG Heuer, c’est une équipe de 80 personnes qui prennent 6 semaines pour le montage et 3 semaines pour le démontage et le stockage – et d’utilisation, la plupart des stands bâlois sont de gros cubes, ce que regrette Otttavio Di Blasi. “Dans ce cube, il faut creuser pour trouver la forme juste,” ajoute-t-il. Le fait de refuser toute spécialisation et de trouver une forme de fécondation dans ses allers-retours entre architecture urbaine et architecture de stand, lui permet de jouer pleinement son rôle. A ses yeux, l’architecte d’un stand devrait être celui qui entre marque, économie, politique, message, communication, fonctions et construction est le mieux armé pour trouver une synthèse spatiale qui soit aussi forte que durable. Baselworld 2012 ne verra sans doute pas beaucoup de changements, mais à l’occasion de l’ouverture des nouvelles halles lors de BaselWorld 2013, on devrait assister à une nouvelle floraison architecturale. Parions qu’Ottavio Di Blasi y signera quelques uns des stands les plus marquants.
Source: Europa Star Première Vol.14, No 1