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Antonio Calce, nouvel actionnaire de sa marque

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February 2012


Antonio Calce, CEO de Corum, engagé par Séverin Wunderman peu avant son décès, est un homme qui “croit en ce qu’il fait” et vient de le démontrer en devenant cet automne actionnaire de l’entreprise pour laquelle il travaille. “J’y ai mis tout mon pognon”, dit familièrement celui qui est “né à Neuchâtel, a grandi à Neuchâtel et aime passionnément l’industrie horlogère.” Corum appartient à la Fondation Séverin Wunderman, issue de la SPAG (Séverin Participation AG). Désormais, Antonio Calce est le seul actionnaire, largement minoritaire, en dehors de la Fondation qui, par ailleurs, ne se mêle pas directement de l’opérationnel. Sans doute est-ce pour lui aussi une façon de préparer l’avenir car la Fondation, dont le Président est le “boss” direct d’Antonio Calce, active aussi dans l’humanitaire (recherche médicale et soutien aux enfants déshérités) n’a sans doute pas vocation à conserver Corum sur le long terme. Mais si Antonio Calce prend ainsi ses marques pour le futur, son investissement personnel dans l’actionnariat est aussi et surtout une façon d’affirmer haut et fort toute sa foi dans le redressement et le repositionnement de la marque, une tâche entreprise depuis quelques années avec une fougue indéniable.

Europa Star a rencontré cet homme pressé mais profond.

Antonio Calce, nouvel actionnaire de sa marque Antonio Calce, CEO of Corum

Europa Star: Est-ce que le fait d’être à présent un CEO actionnaire change quoi que ce soit dans la conduite de votre entreprise?

Antonio Calce: Diriger une maison dans un esprit d’entrepreneur prêt à prendre ses risques me porte en avant. C’est bien mieux et plus intense que d’être simplement “manager”. C’est aussi une question de confiance: je démontre ainsi que je ne suis pas ici de passage, que je suis pleinement engagé dans le futur de l’entreprise, que je travaille pour le long terme.

ES: Précisément, comment voyez-vous ce futur, en général pour l’horlogerie et en particulier pour Corum?

AC: Oh, l’horlogerie va très vite. Le court-terme ne m’inquiète pas mais c’est à moyen terme que se dessinent les plus grand enjeux. Quels sont-ils? Nous devons atteindre une masse critique, pas seulement en termes de chiffre d’affaires mais en maturité, chacun à l’intérieur de sa propre niche: maturité sur le plan de l’outil industriel approprié, maturité sur le plan de la distribution. Ce sont là les deux nerfs de la guerre. Nous devons faire l’apprentissage de nouveaux métiers, ce qu’on ne pensait pas devoir faire un jour. Il y a un an seulement, on ne parlait pas du problème de l’organe réglant. Maintenant, il faut s’y mettre. Sans cette maîtrise de la production, sans cette masse critique, les indépendants, comme nous, seront d’ici quelques années confrontés à de grandes difficultés. Y parvenir nécessite de gros investissements directs ou indirects, sous forme d’alliances. Il faut ainsi veiller dès maintenant à ne pas rater les virages essentiels qui se présentent devant nous. Corum a bien l’intention d’être un acteur clé de l’industrie horlogère.

ES: A vous entendre, on a l’impression que l’horlogerie est à un tournant?

AC: Certainement. Mais la pénurie en composants qui s’annonce ou les difficultés de l’approvisionnement pour les indépendants ont aussi un aspect salvateur: ça nous oblige à construire la marque pour la pérennité et ça renforce le poids de l’authenticité. Construire un outil industriel est un tâche longue, ardue et chère, dont les résultats sont intrinsèquement liés aux questions de volume. Mais en dehors de la seule maîtrise de ses propres composants, se pose la question essentielle de la légitimité, donc du contenu. Tout passe par le contenu, par le produit. On doit sentir l’ADN de la marque à travers tous ses modèles. Il faut donc se méfier comme de la peste des projets opportunistes, toujours à court terme, pour se concentrer sur la création de valeurs spécifiques à la marque, en intégrant toujours plus de contenu dans le produit. Et de ce point de vue, Corum est une marque extraordinaire, riche d’une histoire créative vraiment exceptionnelle et qui, au mitan des années 80, avait atteint une grande maturité et une force considérable, dans sa niche car Corum a toujours été une marque de niche, pas un généraliste.

Antonio Calce, nouvel actionnaire de sa marque BRIDGE TOURBILLON, GOLDEN BRIDGE AUTOMATIC, MISS GOLDEN BRIDGE Antonio Calce, nouvel actionnaire de sa marque TI-BRIDGE POWER RESERVE, TI-BRIDGE TOURBILLON

ES: Vous dites indirectement que cette force créative s’est quelque peu diluée, par la suite?

AC: Je ne veux pas refaire l’histoire: ma réponse est concrète, elle se lit parfaitement dans notre offre. Celle-ci s’appuie aujourd’hui essentiellement sur deux piliers majeurs et historiques: la Bridge et l’Admirals Cup. A partir du modèle unique en son genre de la Golden Bridge datant de 1980, nous avons développé une famille entière qui rencontre un succès formidable. Et ce succès nous réjouit d’autant plus qu’il est au coeur de l’essence de la marque. C’est un produit totalement exclusif, très créatif, qui transmet parfaitement nos valeurs. La Bridge existe maintenant sous la forme d’une montre automatique, d’un tourbillon, se décline en T-Bridge, en versions joaillières ou ultra-contemporaines, pour les femmes comme pour les hommes. Elle est en passe de devenir notre icône: c’est à dire immédiatement reconnaissable, très identitaire mais suffisamment adaptable pour se plier à toutes sortes de desiderata. Et elle est équipée de 5 mouvements maison différents. Même constat pour l’autre pilier de la marque, l’Admirals Cup. Elle existe désormais en trois versions différentes: sous forme de montre très extrême, d’outil professionnel de prestige, pourrait-on dire, sous forme de montre sportive de grande classe et sous forme de classique intemporel, très élégant, très pur et très horloger. Mais quelle que soit sa forme et ses fonctions, elle reste avant tout un membre identifiable de la famille des Admirals Cup, et pour ce faire, elle n’a même plus besoin d’arborer ses flammes de couleur, son design est suffisamment fort pour ça. Cette famille s’adresse dorénavant à un public élargi. Et, paradoxalement, notre prix d’entrée qui est aujourd’hui à 3’900.-CHF pour une sport classique nous a permis de gagner aussi en notoriété. Car celle-ci se construit par le haut et par l’exclusivité mais aussi par le volume.

ES: Un mouvement de base dans le pipe-line?

AC: Ça viendra. Ce que je peux dire c’est que c’est un objectif, capital.

Antonio Calce, nouvel actionnaire de sa marque ADMIRAL’S CUP 45 MINUTE REPEATER TOURBILLON, ADMIRAL’S CUP CHALLENGER 44 CHRONO RUBBER, ADMIRAL’S CUP CHALLENGER 40 CHRONO DIAMONDS Antonio Calce, nouvel actionnaire de sa marque ADMIRAL’S CUP SEAFENDER 47 TOURBILLON GMT, ADMIRAL’S CUP SEAFENDER 48 DEEP DIVE

ES: L’autre grand défi posé aux indépendants, disiez-vous, est la distribution.

AC: Je le dirais très brutalement: si tu ne pèses que 5% à 8% du chiffre d’affaires de ton détaillant, aujourd’hui tu es mort. Il y a un seuil critique qu’il est nécessaire d’atteindre. Comment y parvenir? Avoir du poids chez le détaillant implique la mise en place de toute une chaîne de services et de présence, y compris jusque sur le marché en question. Y parvenir nécessite une forte mobilisation et, surtout, des objectifs à moyen terme très bien définis. La bataille de la distribution est rude, certes, sauvage même par endroits, mais en même temps de nombreuses fenêtres d’opportunités s’ouvrent un peu partout. Dans les pays émergents, certes, mais aussi ailleurs. Les grands groupes, en ouvrant leurs boutiques, sortent aussi de chez certains détaillants, des espaces se libèrent... Mais je suis totalement confiant car nous sommes aujourd’hui parfaitement préparés à ce qui nous attend. L’espace que l’on trouve chez le détaillant dépend non seulement d’un bon “mix” de produits mais aussi de la capacité à fournir produits et services sans discontinuité. Nous y sommes aussi préparés.

ES: Vous avez l’air heureux dans votre nouveau costume d’actionnaire...

AC: Quand on devient “patron” (dans une bien faible mesure), indépendant et entrepreneur, on est dans le coeur de la tourmente, à tous les niveaux. Le spectre s’élargit, l’approche devient plus panoramique, la vision plus lointaine. C’est passionnant. Et vous jouez avec votre argent. Et avec vos équipes. Depuis mon arrivée, j’ai toujours joué la transparence, même pendant la période de la crise. J’ai aussi toujours mis en avant notre responsabilité sociale. J’y crois. Pour moi, le mot éthique a un vrai sens. C’est même une question d’équilibre personnel, vous avouerais-je.Et je suis très fier que toute mon équipe poursuive dans cette voie avec moi, c’est le meilleur des compliments.

Source: Europa Star Première Vol.14, No 1