C’est plus qu’une alerte, c’est une hécatombe. Les dernières statistiques semestrielles de la Fédération Horlogère suisse se lisent comme une déprimante litanie: Hong Kong moins 22,2%, USA moins 43,3%, France moins 10%, Italie moins 8,4%, Japon moins 29,6%, Allemagne moins 13%, Singapour moins 30,3%, Chine moins 36,4%... etc... etc... à l’unique exception d’un bizarre plus 44,1% pour la Corée. Tout confondu, les exportations horlogères du premier semestre 2009 ont enregistré une baisse cumulée de 26.4%, soit un manque à gagner de 2.2 milliards de FS pour un total de 6.1 milliards.
Des résultats en forme de radiographie de l’état de l’économie réelle. En forme aussi d’imparable diagnostic: l’horlogerie est redescendue sur terre. Et son atterrissage forcé a causé – et causera encore – des dégâts “collatéraux”. Après la “course aux étoiles” de cette dernière décennie, le retour à la réalité fait l’effet d’une douche froide. Les temps changent, comme le chantait Bob Dylan il y a plus de 40 ans. Les temps changent toujours, on l’oublie trop souvent. Et n’est-ce pas un des paradoxes de l’horlogerie, art et industrie du temps, que de sans cesse l’oublier elle aussi? Perdue dans l’arrogance de ses succès stratosphériques, l’horlogerie qui volait de records en records – non seulement économiques mais aussi techniques comme en termes d’image – avait fini par oublier que pour compter le temps elle n’a pourtant rien d’éternel, et qu’elle n’est qu’une goutte d’eau dans l’océan économique mondial. Quelles que soient ses performances, l’horlogerie n’est et ne reste qu’un secteur marginal, condamné à subir de plein fouet les conséquences de désordres qui la dépassent, et de loin.
C’est donc bel et bien à une véritable cure de modestie que l’horlogerie est aujourd’hui appelée. Certaines baudruches se sont déjà dégonflées, d’autres suivront mais ce n’est là qu’un juste retour des choses, une prime inattendue offerte à ceux qui ont su rester “vertueux”. Ceux qui ont su résister à l’ivresse presque orgiaque qui s’était emparée de beaucoup, disposent maintenant du temps nécessaire pour fourbir leurs “armes” en vue des prochaines campagnes (quand viendront-elles: fin 2009 déjà, courant 2010?). Et celles-ci se mèneront avec d’autres “valeurs”: décrédibilisée, la surenchère cèdera le pas à la mesure, l’esbroufe à la qualité, le mépris au service. Mais qu’on ne s’y trompe pas pour autant: l’innovation n’est pas morte avec la fin de la vanité, de la suffisance et de l’ostentation. Bien au contraire, c’est une chance pour elle de se développer non plus pour le seul jeu des apparences, mais pour apporter de la substance. Le fait que dans le marasme actuel une marque comme Tissot semble non seulement surnager mais même enregistrer d’excellentes performances est tout à fait symptomatique. Fruit de l’innovation, la T-Touch est une montre qui, bien qu’éclipsée médiatiquement par des concurrentes beaucoup plus fastueuses qu’elle, a de la “substance”, une “substance” même unique en son genre. Ce n’est qu’un exemple parmi d’autres mais il indique la voie à suivre: innover pour proposer des produits consistants à des prix qui ne reflètent pas que l’apparence mais qui soient à la mesure de la substance.
Source: Europa Star Première Vol.11, No 4