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«Corum achète 10% de China Haidian»

May 2013


CORUM Le 24 avril 2013, le groupe chinois China Haidian (Ebohr, Rossini, Eterna, Porsche Design et Codex) ajoute une marque horlogère suisse de plus à son catalogue: Corum. Encourageant ou inquiétant? Réponse avec Elsa Berry, la Franco-américaine qui a piloté la transaction aux commandes de sa société spécialisée dans les acquisitions, fusions et ventes dans le secteur du luxe, Vendôme Global Partners.

Elsa Berry, director of Vendôme Global Partners, at BaselWorld
Elsa Berry, director of Vendôme Global Partners, at BaselWorld

Flash-back! En 2000, Montres Corum Sàrl est rachetée par Severin Wunderman qui décède en 2008. Ses titres sont légués au trust Severin Wunderman Group, présidé par Richard Tomlin. En 2005, la manufacture entame une ascension remarquée grâce, notamment, aux efforts de son directeur Antonio Calce. 24 avril 2013 à 9 h du matin, la nouvelle tombe pile à l’ouverture du Baselworld: le groupe China Haidian rachète Corum! Le mot «Chine» réveille la peur irrationnelle du «Péril jaune» qui gagne le public, la presse, le monde politique et, bien sûr, le milieu horloger. Dépassons ce stade pour découvrir les coulisses de l’affaire, les enjeux et les perspectives avec Elsa Berry, au cœur de la transaction depuis l’automne 2012!

Europa Star: Pourquoi vendre une marque en pleine ascension?
Elsa Berry: Le trust, activé au décès de Severin Wunderman, n’était pas un «investisseur» durable, la revente à terme était donc inévitable. Mais au préalable, ce consortium a beaucoup investi dans la marque Corum pour lui offrir un positionnement élevé et permettre la sortie du trust. A l’automne dernier, nous avons été mandatés pour lancer un processus de vente consistant, dans un premier temps, à comprendre la société en passant du temps chez Corum et avec son patron, Antonio Calce, avant de contacter les acheteurs potentiels à l’échelle mondiale. Parmi ceux-ci, il y a les grands groupes du luxe, les familles horlogères, les investisseurs du secteur et cela, dans toutes les régions du globe: Europe, Moyen-Orient, Asie, Amérique Latine et Etats-Unis.

Europa Star: Comment s’est déroulée l’approche de China Haidian?
Elsa Berry: La Chine – plus généralement l’Asie – est déjà le marché clé et un marché d’avenir pour Corum. Quant à China Haidian, la holding excelle en Chine dans le secteur horloger du bas et moyen de gamme et a déjà acquis Eterna en 2011. L’actionnaire majoritaire du groupe chinois, Monsieur Kwok Lung Hon, a la volonté délibérée de rentrer dans le secteur du luxe et Corum correspond parfaitement par sa taille critique, son positionnement, son potentiel et par sa belle reconnaissance par la clientèle chinoise. Dans l’approche, nous avons été impressionnés à la fois par l’infini respect des managers de China Haidian pour la manufacture Corum et l’enthousiasme de Monsieur Calce et ses équipes faces aux garanties de protection de l’ADN suisse de la marque de la Chaux-de-Fonds. Beaucoup de temps a été investi au niveau relationnel pour s’assurer de la bonne compatibilité entre les deux sociétés.

Europa Star: D’un autre côté, 86 millions de francs pour Corum, ça semble relativement modeste...
Elsa Berry: La société a été un peu impactée par le processus de vente lui-même car certains agents ayant entendu parler de vente ont moins honoré les commandes, dépréciant un peu la valeur de Corum.

Europa Star: Pourtant, le rachat de Corum par China Haidian fut une surprise, ici à Baselworld!
Elsa Berry: Surprise de connaître qui était l’acheteur car des rumeurs circulaient depuis la fin de l’année dernière.

Europa Star: Car le repreneur est chinois?
Elsa Berry: Je tiens d’abord à préciser que si China Haidian Holding Limited, cotée à la bourse de Hong Kong, a bien acheté le capital de Montres Corum Sàrl, le trust Severin Wunderman Group a, en contrepartie, été en partie payé en titres China Haidian – avec près de 45% du produit de la vente en titres (soit l’équivalent de 38 millions de francs), le trust sera actionnaire de 10% de China Haidian! C’est pour cela que nous parlons d’alliance stratégique. Ainsi, après Monsieur Hon –actionnaire de référence avec 67% du capital actions – le trust est le deuxième actionnaire du groupe China Haidian!

Europa Star: Et ça veut dire quoi, concrètement?
Elsa Berry: Ça veut dire que le président du trust, Richard Tomlin, reste impliqué, ça veut dire que l’équipe de Corum ne change pas et qu’Antonio Calce reste le responsable de la société. Bref, ça veut dire que c’est un vrai partenariat.

Europa Star: Lors de la conférence de Baselworld pour la presse chinoise, les journalistes ont demandé quel était la perception de la branche horlogère suisse par rapport à ce rachat. Sans donner leur avis personnels, les directeurs ont évoqué un «sentiment d’inquiétude, notamment par rapport à la protection du ‘Swiss made’».
Elsa Berry: D’abord, il n’y aura aucun transfert de technologie entre la Suisse et la Chine, ça n’a aucun sens. D’ailleurs, les marques Ebohr et Rossini, positionnées dans le bas et moyen de gamme, n’en ont absolument pas besoin, elles sont respectivement dans le top 3 et 2 des marques chinoises en vendant chacune plus de 1 millions de montres dans plus de 3600 points de vente en Chine. La stratégie de China Haidian n’est absolument pas un transfert de ces deux segments, au contraire, elle vise à consolider une stratégie dans le vrai luxe, l’authentique produit suisse à travers des marques prestigieuses, s’appuyant sur un management et un savoir-faire local, tout en leur apportant un potentiel de développement exponentiel en Chine.

Europa Star: Tout le monde sait également que si Hong Kong est le premier marché de l’horlogerie suisse et la Suisse est le premier client du secteur horloger de Hong Kong. Comme nous ne rachetons pas nos propres montres, il s’agit de bien de composants – fabriqués à Shenzhen en l’occurrence, cité voisine de Chine continentale. L’inquiétude d’une dilution du «Swiss made» n’est pas si… irrationnelle.
Elsa Berry: La crainte serait donc de fabriquer moins localement en Suisse et davantage en Chine? D’une part, dans les discussions entre les responsables, toutes les parties étaient très sensibilisées à la protection du «Swiss made». D’autre part, il n’y a pas de plus grand défenseur de l’ADN de Corum que Monsieur Calce qui ne mettra jamais en péril le «Swiss made» de sa marque. Enfin, Calce s’est personnellement engagé dans le partenariat avec China Haidian et il n’a jamais été question de tels projets. Je répète, Corum et les marques chinoises de China Haidian touchent des segments opposés.

Europa Star: Et le choc des cultures? On se souvient de la démission du directeur de Codex, René Köhli, qui ne partageait pas les mêmes stratégies que les managers de China Haidian. Et très récemment la démission du directeur d’Eterna, Patrick Kury, sans motif officiel… La vision helvétique et chinoise est parfois diamétralement opposée.
Elsa Berry: Je ne connais pas le détail de ces affaires, mais j’étais impliquée en personne dans la transaction entre Corum et China Haidian. Le fait que le trust reste associé, que Richard Tomlin – qui respecte la mémoire de Severin Wunderman, ami de longue date, en faisant affaire avec le meilleur repreneur pour Corum –, qu’Antonio Calce soit très engagé et qu’il y ait eu de fréquents pourparlers avec les dirigeants de China Haidian doivent éviter tout malentendu. Et pour sa part, le groupe chinois n’a aucun intérêt à rater cette transaction. Mais étant à moitié européenne, élevée en France, et donc confrontée aux différences culturelles, je comprends parfaitement que l’industrie réagisse ainsi à la «headline news». L’intérêt à terme, c’est quand même de développer davantage Corum, notamment sur les marchés asiatiques en général et chinois en particulier.

Europa Star: Et une synergie entre les quatre marques suisses du groupe, n’y a-t-il pas ici une carte à jouer?
Elsa Berry: Ça ferait énormément de sens qu’il y ait une sorte de synergie de reconstruction d’un petit groupe suisse entre Eterna, Porsche Design, Codex et Corum. Mais c’est trop tôt pour en parler.

Europa Star: Point indiscutablement positif, c’est l’aide potentielle extraordinaire de China Haidian dans la distribution de Corum en Chine. Ce point-là figure-t-il dans le contrat?
Elsa Berry: Après l’accès au segment du luxe, c’est la deuxième motivation de China Haidian: «driver» les ventes de Corum en Chine. Le groupe est impliqué dans toutes les sphères gouvernementales d’influence et des plans sont en train d’être définis. Précisons que les points de vente Rossini et Ebohr n’auront rien à voir avec ceux de Corum! Toute une réflexion est en cours pour savoir quelle est la meilleure façon de préserver le positionnement haut-de-gamme de Corum en Asie.

Europa Star: C’est donc très positif…
Elsa Berry: Oui, c’est du win-win à partir du moment où le vendeur est aussi actionnaire de l’acheteur, que le management reste en place et que China Haidian conforte la stratégie de développement de Corum depuis 2006. Maintenant ça fait trente ans que je fais ce métier, les intentions ne suffisent pas, la véritable mission reste la réalisation. Et cela, c’est une question d’hommes et de femmes. Donc il y a la volonté stratégique, les fondamentaux sont bons et le démarrage a toutes les raisons de réussir.

Europa Star: Comment la bourse de Hong Kong a-t-elle réagi sur le titre de China Haidian, mercredi 24 avril, à l’annonce de cette acquisition?
Elsa Berry: Le jour de l’annonce, le volume des titres échangés est passé d’une moyenne de 2,5 millions à 8,6 millions. Et entre l’annonce du mercredi 24 avril et la clôture de vendredi 26, le cours est passé de 0,82 Hong Kong dollar à 0,88, soit +7%. Le marché a donc correctement réagi avec une hausse pragmatique, sans excès.

Europa Star: En tant que professionnelle de la fusion et des acquisitions de sociétés, vous avez parlé ici d’événement quasi historique. Qu’entendiez-vous par là?
Elsa Berry: Longtemps les Chinois ont été des investisseurs internationaux dans les secteurs de la finance, de énergie et des ressources naturelles, mais rarement investisseurs de marques. L’une des raisons, c’est que jusqu’ici, les intervenants chinois bénéficiaient de licences données par les détenteurs de marques en Europe ou aux Etats-Unis. Mais depuis la croissance de la Chine, ces marques se réoctroient leurs licences, à l’image de Ralph Lauren ou Tommy Hilfiger. Désormais, les Chinois doivent soit créer, soit acheter des labels. C’est une première car ils n’ont pas l’habitude d’acheter des marques. C’est aussi très intéressant de voir qu’une de ces premières acquisitions dans le secteur du luxe par un groupe chinois se passe justement dans l’horlogerie. L’avenir dira comment les choses évolueront dans cette nouvelle ère. N’oublions pas que cette ingénierie et ce savoir-faire minutieux qui fait la réputation des Suisses, les Chinois l’ont eu aussi autrefois, avant la destructrice parenthèse communiste.