L’horlogerie est née ornementale. Les premières montres portables étonnèrent et furent aussitôt plébiscitées par les riches et les puissants. Mais elles étaient fort imprécises et leur valeur tenait moins à leur usage en tant qu’instruments qu’à leur richesse ornementale. Les métiers d’art et l’horlogerie ont depuis partie liée, pour le meilleur, souvent, et parfois pour le pire si l’on songe à certains monuments de riche kitsch qui ont été produits. Mais cette relation entre métiers d’art et métiers techniques a connu des périodes intenses et d’autres plus relâchées.
La naissance de l’horlogerie de précision puis les règles sacro-saintes du Bauhaus (“form follows function”) ont ainsi relégué pour un temps l’ornementation au second plan, sans que celle-ci ne disparaisse jamais vraiment tout à fait. Mais la transmission des métiers s’est dangereusement appauvrie, des filières entières ont disparu et d’autres se sont retrouvées “en danger d’extinction”. Et pourtant, depuis quelques années déjà les métiers d’art font leur grand retour. A tel point que cette année, au SIHH puis à BaselWorld, le nombre de marques présentant leurs collections “Métiers d’Art” a augmenté de façon impressionnante. Pour quelles raisons ?
- An enlarged impression of a straw marquetry motif by Hermès
Sans doute plusieurs, qui se conjuguent pour créer un petit phénomène. Les métiers d’art sont devenus stratégiques. A travers eux, nombre de marques mondialisées cherchent à asseoir leur légitimité dans le haut du panier horloger, pas tant pour des raisons économiques (les quantités produites, forcément restreintes, n’en font pas un centre de profit majeur) mais en terme d’image de marque et de prestige.
A ces raisons de marketing, s’ajoutent aussi d’autres considérations. Nous sortons d’une ère durant laquelle l’horlogerie mécanique est passée de performances en performances, influençant directement l’esthétique des montres. D’une certaine manière, la mécanique a traversé les cadrans et nombre de pièces arborent désormais leurs entrailles techniques au grand jour comme autant de fières décorations. La mécanique est devenue sa propre ornementation, au prix de nombreux excès. On assiste aujourd’hui, période de crise oblige, à un retour à plus de mesure et à un certain classicisme. La montre ultraplate et dépouillée revient en force. De même, la tradition qui se niche dans les métiers d’art, revient sur le devant de la scène, un peu comme un contrepoids face à la technicité par ailleurs dominante. Pouvoir, dans ce cadre, présenter des œuvres uniques dans lesquelles la main de l’artisan joue les premiers rôles rejaillit sur l’ensemble des produits. Il est devenu du dernier chic d’avoir qui son plumassier, qui son marqueteur de paille ou de pavés de pierres dures, qui son émailleur ou son graveur. Mieux, même, réunir différents métiers d’art collaborant dans une démarche commune, permet d’échapper à la “banalisation” des métiers d’art qui guette déjà.
Si on ne peut que se réjouir du regain de popularité de ces métiers, on peut néanmoins regretter un fait : le plus grand nombre de ces marques ne font que reproduire des thèmes du passé qui n’ont plus rien à dire à notre époque. Trop rares encore sont les tentatives d’adapter les métiers d’art à une esthétique qui parlerait plus directement à notre époque. Quelques uns s’y attellent néanmoins, se hasardant du côté de l’abstraction ou revisitant des mouvements artistiques plus proches de nous, que ce soit l’impressionnisme ou le cubisme… Grand bien leur en fasse car c’est là, nous semble-t-il, la voie qui pourrait permettre une véritable renaissance des métiers d’art et non pas seulement la répétition de ce qui s’est déjà fait par le passé.
Tous les articles de notre section spéciale “Arts & Crafts” sont à découvrir dans Europa Star 5/2013
Source: Europa Star October-November 2013 Magazine Issue