Faut-il y voir la “tête de pont” d’un grand retour du classicisme stylistique le plus traditionnel ou une pièce isolée, à contrecourant de toutes les tendances esthétiques du moment ? Quelle que soit la réponse à cette question, force est de constater que la Patek Philippe référence 6002 Sky Moon Tourbillon détonne fortement dans le paysage horloger. Rarement on aura vu apparaître une pièce si richement gravée et à tel point ornementée que pas une seule de ses surfaces n’est laissée vierge de coup de burin ou de passage de pinceau à émail.
Stylistiquement, la pièce étonne car elle signe un retour en force de l’art de l’ornementation qui a fondé l’école genevoise de l’horlogerie. Elle s’inscrit ainsi dans une longue tradition sans chercher à s’écarter des canons esthétiques de la grande horlogerie classique née au XVIème siècle. Une horlogerie qui compensait alors l’imprécision de sa mécanique par une profusion ornementale censée refléter la richesse et le prestige des possesseurs de ces garde-temps alors approximatifs.
The La réference 6002 Sky Moon Tourbillon de Patek Philippe est aussi compliquée dehors que dedans.
Depuis lors, bien de l’eau a coulé sous les ponts et, avec l’invention du balancier-spiral, la précision de l’horlogerie mécanique s’étant considérablement améliorée, les montres sont graduellement devenues de véritables instruments de mesure qui ont accompagné et favorisé le développement de la navigation puis des sciences. Dès lors, leur ornementation a perdu de son importance, reculant au profit d’une mise en valeur de leurs qualités scientifiques. Il n’y a qu’à voir les montres révolutionnaires de Breguet d’où toute ornementation a disparu et qui affichent leur précision sur des fonds immaculés qui privilégient la finesse des échelles de mesure.
La surprise que provoque la Patek Philippe référence 6002 Sky Moon Tourbillon s’explique donc parfaitement. Voici une montre à l’ornementation digne des réalisations de la grande horlogerie classique de prestige mais qui renferme un des calibres les plus complexes et précis qui soit. L’ambition de Patek Philippe est dès lors claire : démontrer que l’habillage peut être en-soi une “grande complication”, au même titre que le mouvement qu’il renferme.
Optimisation
Ce mouvement n’est pas en-soi inédit. Il ne comporte que quelques légères différences par rapport au Calibre qui équipait la précédente Sky Moon Tourbillon référence 5002, présentée en 2001. Les seules modifications portent sur l’affichage des indications du jour, du mois et des années bissextiles non plus par aiguille mais par guichet, et le remplacement du petit cadran de l’âge de la lune par un guichet des phases de lune, jugé “plus poétique”. Mais par ailleurs, les 12 complications de ce qui reste la montre-bracelet la plus compliquée de la maison genevoise se retrouvent dans cette nouvelle référence à double face : une répétition minutes sur deux timbres cathédrale, un tourbillon ; sur le recto un quantième perpétuel avec date rétrograde et l’affichage du temps solaire moyen ; sur le verso, les indications astronomiques, soit une carte mobile de la voûte céleste, l’heure sidérale, le mouvement angulaire de la lune et les phases de lune. Quelques optimisations ont été aussi apportées : un nouvel alliage métallique apporte aux timbres un son d’une grande pureté et de forte puissance ; de nouveaux calculs énergétiques ont été nécessaires pour les indications par guichet, plus lisibles mais réclamant plus d’énergie ; et de complexes calculs théoriques ont été menés afin de déterminer la variante optimale des transmissions opérées dans le train de rouages chargé des indications astronomiques, pour parvenir à la plus grande précision mécaniquement possible (-0,05 seconde par jour lunaire, -0,088 seconde par jour sidéral et moins 6.51 secondes par lunaison).
The La réference 6002 Sky Moon Tourbillon de Patek Philippe est aussi compliquée dehors que dedans.
Habillage de précision
Cette précision, on va la retrouver dans l’habillage. Le boîtier en or gris de la nouvelle Sky Moon Tourbillon est en effet entièrement gravé à la main. Pas une surface, y compris celle des aiguilles, qui n’ait d’une façon ou d’une autre échappé au burin. Guirlandes, volutes, éléments tirés de la Croix de Calatrava, emblème de la marque, ciselures, cannelures se partagent toutes les surfaces disponibles, jusqu’au verrou de la répétition minutes, aux couronnes, aux cornes. Plus de 100 heures de patient travail, sachant que le moindre des “faux pas” met en péril le tout et risque de renvoyer la pièce chez le fondeur. A ce travail de gravure véritablement exceptionnel, s’ajoute celui de l’émailleur, du fraiseur, du poseur d’appliques. Le cadran en or accueille ainsi deux techniques d’émaillage complémentaires : l’émail champlevé, qui, apposé au pinceau, vient remplir les alvéoles précédemment fraisées et l’émail cloisonné qui reproduit à l’aide de minces fils d’or le tracé du décor végétal avant que les alvéoles ainsi créées ne soient remplies d’émail aux diverses nuances de bleu. C’est par dessus ce décor passé au four (aux environs de 850°) que sont posés les chiffres romains en applique et que sont peintes en gris clair les différentes autres mentions. Autre détail, les dégradés d’émaux blancs et noirs qui reproduisent la surface granuleuse de la lune.
Cette Sky Moon Tourbillon, qui ne sera produite qu’en “petites quantités” comme le dit Thierry Stern lui-même, restera-t-elle une montre atypique ou sonne-t-elle le retour en fanfare du grand art de la décoration ? L’avenir le dira.
Source: Europa Star October-November 2013 Magazine Issue