Si 2013 fut à bien des égards “l’année des Métiers d’art”, le SIHH 2014 place d’emblée l’année horlogère à venir sous les auspices de l’astronomie. Quoi de plus naturel, somme toute, comme nous le rappelle une exposition précisément nommée “L’Horlogerie, fille de l’Astronomie”, présentée par la Fondation de la Haute Horlogerie et montée par les historiens Dominique Fléchon et Grégory Gardinetti.
L’émotion était grande d’y découvrir, le fameux Disque de Nebra, daté d’environ 1’600 ans avant JC, qui représente sur un disque de bronze de 32 centimètres de diamètre, 32 corps célestes en feuilles d’or, dont les croissants du Soleil et de la Lune ainsi que la constellation des Pléiades. Objet d’art, objet de culte, objet utilitaire (il permettait, selon certains chercheurs, des calculs astronomiques et notamment la prévision des solstices d’été et d’hiver)… la beauté, le mystère et la magie demeurent.
Le Planétarium de poignet de Van Cleef & Arpels
En face de l’exposition, à un jet de pierre, on trouvait la pièce qui fut sans aucun doute une des plus remarquées et des plus commentées de ce SIHH: la Midnnight Planétarium Poetic Complication de Van Cleef & Arpels. A notre connaissance, c’est la première fois qu’un planétarium en relief est miniaturisé à l’échelle d’une montre-bracelet. Techniquement, la réalisation de ce complexe mouvement a été menée en collaboration avec l’horloger Christiaan van der Klauw, grand spécialiste depuis plus de 40 ans des montres à indications astronomiques. Nul besoin de s’étendre sur la finesse des calculs à mener pour parvenir à transformer les temps d’orbite des différentes planètes en subtils jeux de rouages horlogers (le module additionnel qui pilote cette complication comporte à lui seul 396 composants). Car chacune des 6 planètes qui figurent sur cette montre se déplace en conformité avec son temps de rotation autour de l’immobile soleil central en or rose. Saturne va mettre ainsi plus de 29 ans pour faire le tour complet du cadran, Jupiter pas loin de 12 ans, Mars 687 jours, la Terre 365 jours, Vénus 224 jours et Mercure 88 jours. Chacune de ces planètes est une sphère de pierre dure taillée à la main – turquoise pour la Terre, serpentine pour Mercure, chloromélanite pour Vénus, jaspe rouge pour Mars, agate bleue pour Jupiter, sugilite pour Saturne – dont les dimensions sont proportionnelles à la masse des planètes. Chaque planète est fixée au bout d’un petit piton qui orbite entre un des 7 disques d’aventurine qui composent le magnifique cadran de ce planétarium de poignet. Un huitième disque d’aventurine, frappé des chiffres des 24 heures et des mois de l’année vient le compléter. Les heures se lisent en toute approximation (à 10 minutes, ¼ d’heure près) par la grâce d’une étoile filante en or rose qui tourne autour du cadran en 24 heures.
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Le fonctionnement cosmique étant tout à la fois une science et un écho symbolique de notre propre destin, la lunette tournante permet au porteur de la montre de choisir son “jour de chance” en positionnant un triangle rouge sur le calendrier gradué. A la date choisie, la Terre viendra se placer sous une étoile gravée sur la glace saphir.
- Midnight Nuit Boréale by Van Cleef & Arpels
Animée par un mouvement automatique, complétée d’un calendrier annuel, cette superbe réalisation prend place au centre de la collection L’Astronomie Poétique™ de Van Cleef & Arpels dont l’ambition, comme le rappelle Nicolas Bos, Président et CEO de la marque, est “d’inviter à la rêverie” (coûteuse rêverie, avoisinant les 150’000 euros).
Mais Van Cleef & Arpels ne s’arrête pas en si étoilé chemin et propose, dans la même veine d’inspiration astronomique, deux nouveaux Cadrans Extraordinaires, la Midnight Nuit Boréale et son pendant, la Midnight Nuit Australe. Deux superbes réalisations clair-obscur en émail grisaille rehaussé de petites gouttes d’or jaune. De quoi continuer à rêver.
Greubel Forsey, une pédagogique équation du temps
C’est une approche beaucoup plus scientifique de l’astronomie – ou plus exactement des calculs astronomiques – que propose Greubel Forsey avec une pièce assez stupéfiante: le QP à Equation. Cette pièce inaugure une seconde phase du travail que les deux hommes mènent sur “les fondamentaux de l’horlogerie”. Après s’être penchés avec la rigueur qui les caractérise sur les tourbillons inclinés, les voici qui revisitent le quantième perpétuel avec pour but essentiel d’en offrir la plus simple lecture.
Mais pour y parvenir à cette “simplicité” – les indications de leur QP sont alignées dans trois guichets disposés côte à côte, qui indiquent sans ambiguïté jour, grande date, mois - ils ont dû commencer par “complexifier” les choses. Revenant à l’origine même du Calendrier Perpétuel, soit le “comput” médiéval qui permettait de déterminer les dates des fêtes religieuses, ils ont mis au point un véritable “Computeur mécanique” qui leur a permis d’intégrer une équation du temps dans le mécanisme même du QP (il ne s’agit donc pas ici d’un module additionnel mais d’un mouvement totalement intégré de 570 composants). Au cœur de ce dispositif on trouve un “mobile codeur” (trois brevets). Composé d’un empilement de cames pourvues de “doigts”, il permet un affichage coordonné sur les deux faces de la montre: ainsi le disque des mois permet d’afficher celui-ci dans un guichet du cadran tout en faisant se mouvoir également l’échelle de l’équation du temps qui figure au dos de la montre. De même, le disque des années actionne l’indicateur d’année bissextile sur le cadran et celui des saisons sur le dos.
- QP à Equation by Greubel Forsey
C’est là, au dos de la montre, qu’on trouve l’indication de l’Equation du temps, qui permet de mesurer l’écart toujours changeant entre l’heure moyenne (un jour = 24h) et l’heure solaire réelle. Cet écart dû à la trajectoire elliptique de la Terre autour du soleil, et qui varie de quelques secondes à plus de 16 minutes, est graphiquement figuré sur un disque saphir par une figure géométrique “en forme de raie manta” dont les lignes sont découpées en quatre parties, deux rouges, deux bleues. La ligne rouge indique un décalage positif entre heure moyenne et heure solaire, la ligne bleue, un décalage négatif. Un deuxième disque saphir, relié au quantième des mois, comporte une échelle graduée en minutes. La conjonction entre cette échelle en minutes et la ligne rouge ou bleue qui figure sur l’autre disque permet de lire immédiatement et en tout évidence l’équation du temps.
- QP à Equation by Greubel Forsey and the equation of time
Cette présentation inédite de l’Equation du temps a aussi des vertus pédagogiques, semble-t-il, car graphiquement, “on comprend mieux les cycles elliptiques de la Terre autour du soleil, l’arrivée des équinoxes et des solstices”, expliquent nos horlogers.
Cette pièce technique et astronomique de 43,5 mm sur 16 mm de haut, emportée par un tourbillon 24 secondes incliné à 25°, rythmée par un grand balancier à inertie variable et cadencée à 21’600 a/h, alimentée par deux barillets superposés à rotation rapide et dispositif anti surtension, disposant de 74h de réserve de marche, est aussi un objet d’art. On y retrouve l’excellence des finitions poussée à son extrême qui signe toutes les montres de Greubel Forsey. Une pièce rare, au prix véritablement astronomique de 670’000 euros.
Même évidence graphique chez A. Lange & Söhne
Décidément, l’astronomie a une vertu importante: pour parvenir à représenter de la façon la plus précise possible et la plus simplement lisible, les complexes mouvements et interactions planétaires, solaires, lunaires, stellaires, il faut réfléchir aussi bien en mathématicien, qu’en mécanicien ou encore qu’en graphiste ou qu’en poète.
C’est ce que démontre avec brio A. Lange & Söhne avec sa nouvelle Richard Lange Quantième Perpétuel “Terraluna”. Côté face, ce QP avec grande date présente un cadran de type régulateur, très harmonieusement divisé en un grand cercle des minutes intersecté avec le cercle des secondes, à gauche du cadran, et le cercle des heures, à droite. Le jour et le mois apparaissent dans deux guichets distincts, à 8h30 et à 3h30. Les années bissextiles se lisent dans un petit guichet circulaire à 2h30. La réserve de marche (un exceptionnel 14 jours) s’affiche dans un guichet en forme de lame disposé à 6h.
- Richard Lange Perpetual Calendar “Terraluna” by A. Lange & Söhne
Graphiquement, l’ensemble de ces indications harmonieusement disposées permet une lecture aussi simple qu’ordonnée de ces différentes informations horaires et calendaires.
Mais c’est au dos de ce magnifique QP qu’on découvre la “Terraluna” qui donne son nom à ce garde-temps. En attente de brevet, cet affichage orbital des phases de lune présente “pour la première fois sur une montre bracelet”, la situation de la Lune par rapport à la Terre et au Soleil. Celui-ci est représenté par le balancier situé dans l’axe de la Terre, représentée sur un disque tournant en 24 heures, disposé au centre d’un plus grand disque piqué d’un millier d’étoiles. La Lune apparaît dans une ouverture ronde pratiquée dans ce disque stellaire et tourne autour de la Terre dans le sens antihoraire en exactement 29 jours, 12 heures, 44 minutes et 3 secondes. Une ultra-précision qui, si la montre fonctionne en continu pendant 1058 ans, ne nécessitera qu’une seule correction à cette lointaine date. Ce qui est tout à fait fascinant dans ce dispositif graphique est qu’on comprend intuitivement et immédiatement la position de la Lune par rapport à la Terre et au Soleil-balancier et donc son apparence: nouvelle Lune ou Lune noire invisible quand elle se trouve en plein dans l’axe Terre-Soleil, puis Lune croissante quand elle s’éloigne progressivement de cet axe, pleine Lune quand elle se trouve à l’opposé du Soleil, enfin Lune décroissante quand elle revient progressivement dans l’axe du Soleil.
- Richard Lange Perpetual Calendar “Terraluna” by A. Lange & Söhne
Le très beau mouvement Calibre L096.1 à remontage manuel qui entraîne cette machinerie céleste grâce à un double barillet, est doté d’un dispositif de force constante qui transmet au balancier un couple toujours invariable sur la durée des 14 jours de réserve de marche. Il faut compter 185’000 euros pour acquérir cette très belle réalisation présentée dans un boîtier en or rose ou or gris de 45,5 millimètres de diamètre.
Cartier, lune à la demande
On retrouve le même vocable de Terre et de Lune dans la nouvelle montre Rotonde de Cartier Terre et Lune, mais le principe d’affichage des phases de Lune est tout à fait différent. Esthétiquement, là où A. Lange & Söhne opte pour l’hyper précision des indications et la pédagogie astronomique, Cartier opte pour une proposition plus baroque et ludique. L’innovation principale de cette montre est dans l’indication des phases de Lune qui se fait à la demande. Vous actionnez le poussoir qui se situe à 4h et aussitôt un cache circulaire en lapis-lazuli disposé à la même hauteur vient glisser au-dessus du tourbillon situé à 6h pour en occulter la cage, dessinant ainsi un croissant qui reproduit la position “exacte” de la Lune dans le ciel de ce jour.
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Au-dessus figure un globe terrestre stylisé (d’où le nom de la montre) au centre duquel sont disposées les aiguilles des heures et des minutes. Tout autour de ce globe court un disque sur lequel figurent les 24 heures d’un second fuseau horaire.
Emporté par le calibre 9440 MC à remontage manuel, dont les finitions semi-squelettées dessinent au dos de la montre une résille d’étoiles, la montre Rotonde de Cartier Terre et Lune dispose d’une réserve de marche d’environ 3 jours et est produite à 50 exemplaires.
Source: Europa Star February - March 2014 Magazine Issue