“Le Diable est dans les détails”, dit le proverbe. Un proverbe qui semble avoir été particulièrement bien assimilé chez Patek Philippe dont toute la pratique horlogère est ancrée dans ce culte absolu du plus infime détail (à tel point que le but ultime est sans doute de renverser la proposition, comme l’a fait le fameux architecte Mies van der Rohe qui avait coutume de dire “Dieu est dans les détails”).
Prenons pour exemple le lancement cette année à BaselWorld de la nouvelle Nautilus Travel Time Chronograph référence 5990/1A. Une pièce qui présente pour la première fois, chez Patek Philippe, l’association entre un chronographe automatique et un double fuseau horaire. L’histoire de sa gestation montre bien à quel point la Maison genevoise avance pas à pas, “sécurisant” progressivement ses avancées techniques avant de les incorporer le plus subtilement et le plus esthétiquement possible dans ses différentes collections. Cette approche du “Diable dans les détails” explique en grande partie l’impression d’extrême cohérence que donne l’ensemble des collections de la marque. Cette cohérence résultant d’une forme de filiation naturelle qui relie chaque montre à la suivante, en toute logique “dynastique”.
Revenons à l’année 1997…
Pour bien comprendre la somme de patient travail qui se trouve derrière cette nouvelle Nautilus Travel Time Chronograph, il faut ainsi remonter à 1997. Cette année-là, Patek Philippe lance la montre Travel Time qui vient enrichir la collection des “petites” complications utiles que la marque développe alors avec grand succès. L’originalité de cette astucieuse Travel Time de 1997, à remontage manuel, réside essentiellement sur son extrême simplicité d’utilisation et la rationalité de son affichage de l’heure.
- Nautilus Travel Time Chronograph by Patek Philippe (ref. 5990/1A)
Contrairement aux montres à fuseaux horaires existant alors, la Travel Time apparaît comme une belle montre classique (de 33,85 mm de diamètre pour le modèle Homme, ce qui selon les critères actuels apparaît comme étant minuscule, et de 29.50 mm pour le modèle Dame) arborant heures et minutes centrales, cadran auxiliaire des 24 heures et petites secondes. L’astuce est double et n’apparaît que lorsque la fonction double fuseau est actionnée: l’aiguille noire des heures indiquant le Travel Time cache en toute discrétion une autre aiguille des heures – en or – évoluant jusqu’alors en parfaite synchronisation avec elle. L’aiguille Travel Time s’en détache lorsque qu’on actionne un des deux poussoirs-correcteurs intégrés à la carrure, l’autre aiguille devenant ainsi l’indication permanente du Home Time.
- Left: Aquanaut Travel Time (Ref. 5164 A-001 / 2006) - Right: MVT 324 PS FUS 5164, The movement is at the origin of the mechanism that activates the travel time function.
C’est là la seconde “astuce” technique qui permet, grâce aux deux poussoirs, de faire avancer ou reculer l’aiguille du Travel Time selon que l’on avance ou recule dans le temps – ce qui n’était alors pas possible avec les autres montres à fuseaux horaires dont l’aiguille ne pouvait être qu’avancée. Plus de deux ans de recherches et de développement furent nécessaires pour offrir cette simplicité d’usage et cette évidence rationnelle de la lecture.
Adaptation d’une complication utile
En 2001, Patek Philippe décide d’intégrer cette complication utile dans sa collection-phare Calatrava. Ce sera la Calatrava Travel Time, avec son boîtier de 37 mm de diamètre et sa large lunette en or poli miroir – caractéristiques de la nouvelle forme de la Calatrava, lancée un an auparavant.
- Calatrava Travel Time by Patek Philippe (Ref. 5134P-001 / 2001-2009)
Le fonctionnement de la complication du second fuseau horaire reste identique dans sa logique mécanique mais apparaît pour la première fois une aiguille noire ajourée qui vient se superposer à l’autre aiguille d’or créant l’illusion – lorsque la complication n’est pas activée – d’une complexe aiguille or et noir. C’est au niveau esthétique qu’un grand travail a été mené, tout spécialement dans l’intégration parfaite des deux poussoirs qui permettent de faire avancer ou reculer l’aiguille de l’heure locale. Modelés sur la forme du protège couronne, ces deux poussoirs intégrés accentuent la symétrie toute classique de la pièce. Un fond en verre saphir permet d’admirer le mouvement et ses finitions particulièrement soignées.
En 2006, premières retouches à la Nautilus
Nous voici en 2006. A l’occasion de la célébration des 30 ans d’un autre de ses grands classiques, la montre “sport élégant” Nautilus, devenue objet-culte, Patek Philippe apporte quelques légères retouches esthétiques et techniques à cette montre dessinée à l’époque par le célèbre designer Gérald Genta. La construction de la boîte reste dans le même esprit que les montres créées en 1976. Avec ce système de charnières rappelant un hublot où le joint plat est compressé entre la lunette et la carrure. Les changements principaux ont été portés sur l’esthétique. Le mécanisme de “hublot” est conservé pour le serrage de la lunette. Mais cette nouvelle construction permet d’apporter quelques légères retouches esthétiques, notamment au niveau des deux charnières qui affichent désormais une légère courbure qui prolonge le profil de la lunette (on vous avait avertis: le Diable ou Dieu sont dans les détails!).
Son élégance s’en trouve renforcée.
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C’est également dès cette date que sont lancées les premières complications dans la collection Nautilus. Ainsi, notamment, est présenté un nouveau mouvement de chronographe automatique, le Patek Philippe Calibre 28-250 C, avec roue à colonnes. Introduit dans le boîtier Nautilus agrandi à 44 mm, ce chronographe avec fonction flyback s’affiche sur un grand et assez exceptionnel “monocompteur” qui décompte les minutes et les heures du temps chronométré sur trois échelles concentriques. Ce modèle reçoit un accueil enthousiaste qui confirme l’extraordinaire attrait que cette montre aussi sportive et robuste que subtile et élégante continue d’exercer. Dans les années qui suivent, la Nautilus continue de s’enrichir de nouvelles complications utiles, bien en phase avec l’esprit de cette montre, dont, en 2010 une version dotée d’un Calendrier Annuel.
Au tour de la Nautilus de devenir voyageuse
En cette année 2014, voici donc venu le tour de la nouvelle Nautilus Travel Time Chronograph qui combine de façon tout à fait inédite l’affichage “monocompteur” de la fonction chronographique et l’aisance du système Travel Time développé graduellement par Patek Philippe.
Pour parvenir à réunir sur une même montre ces deux complications différentes, chronographe et second fuseau horaire, la Manufacture a dû développer un nouveau calibre (le CH 28-250 S C FUS). Au mouvement chronographe intégré à la fois traditionnel dans sa commande par roue à colonnes et novateur par son dispositif d’embrayage à disques, il a fallu ajouter le mécanisme proprement dit de la fonction Travel Time. Ce mécanisme, qui, tel que nous l’avons décrit ci-dessus, permet donc de faire avancer ou de faire reculer l’aiguille de l’heure locale par crans d’une heure, est entièrement déconnecté du mouvement de base au cours de ces opérations. Cette fonction n’a donc aucune influence sur l’amplitude du balancier et la marche de la montre. L’affichage de la date, couplée comme il se doit avec l’heure locale, originellement dans un guichet placé à 3h, a été transformé en affichage quantième à aiguille positionné à 12h, tandis que le “monocompteur” du chronographe a été transformé en totalisateur 60 minutes situé à 6h.
- Nautilus Chronograph by Patek Philippe (Ref. 5980/1A-014)
Ces modifications d’affichage ont à elles seules demandé l’ajout de 47 composants. Pour autant, le mouvement ne s’est épaissi que de 0.3 mm. Cette performance doit beaucoup au nouvel organe régulateur doté du spiral breveté Patek Philippe Spiromax en Silinvar qui oscille symétriquement et de façon isochrone sur un seul plan tout en étant beaucoup moins volumineux que le traditionnel spiral Breguet avec sa courbe terminale relevée. Par ailleurs, ce mouvement automatique calibre CH 28-250 S C FUS, est doté d’un rotor central en or 21 carats, bat à la fréquence de 28’800 alternances/heure et est équipé du balancier Gyromax inventé par Patek Philippe (1949) il y a plus de 60 ans déjà!
Ses finitions superlatives – Côtes de Genève sur les ponts anglés main, côtes circulaires sur le rotor – peuvent être admirées à travers le fond saphir.
Finesses esthétiques et techniques
Mais intégrer cette nouvelle fonction Travel Time à la Nautilus Chronographe a demandé également un travail tout en finesse sur le célèbre boîtier en forme de hublot. Une forme qui, avec ses deux protubérances latérales, était ceci dit idéalement dessinée pour intégrer les deux poussoirs supplémentaires nécessités par la fonction Travel Time. La protubérance de droite sert de protection aux deux poussoirs du chronographe, qui ont été rapprochés de la couronne de façon à ce que leur impulsion agisse plus directement sur le mécanisme. Ergonomiquement, ces poussoirs ont “un toucher plus moelleux et un déclic bien marqué”. A gauche, la protubérance originelle a été remplacée par les deux poussoirs qui en reprennent très exactement la forme. Et l’étanchéité du tout, malgré les nouveaux percements effectués, est garantie à 120 m (12 bar).
- Left: MVT CH 28 250 C FUS - Right: Nautilus Travel Time Chronograph by Patek Philippe (ref. 5990/1A)
On retrouve aussi le fameux bracelet Nautilus en acier avec boucle déployante, marqué par ses maillons centraux polis qui rythment la chute des maillons latéraux satinés, offrant un confort au porter inégalé.
Enfin, l’adjonction de la fonction Travel Time a nécessité un travail de redisposition des indications sur le cadran qui conserve par ailleurs tous les signes identitaires de la collection Nautilus: relief horizontal frappé, léger dégradé de couleur s’éclaircissant de la périphérie vers le centre, index appliques en or gris recouverts de matière luminescente, symétrie parfaite de l’ensemble. A 12h, on trouve le nouveau quantième à aiguille qui fait pendant au compteur 60 minutes du chronographe disposé à 6h. Sur l’axe médian horizontal on découvre deux petits guichets jour/nuit, à 3h celui du Home Time, à 9h celui du Travel Time. L’heure locale est indiquée par une aiguille de type “bâton”, avec revêtement luminescent, tandis que l’heure du domicile est indiquée par une aiguille ajourée.
“Tout ce qu’un homme attend d’une montre”, disent les concepteurs de ce nouveau garde-temps qui marque certainement une étape importante dans la saga de la Nautilus.
Source: Europa Star April - May 2014 Magazine Issue