Après des années de décollage à plus de 40%, le marché chinois a commencé à perdre de l’altitude en 2012 et piquer du nez en 2013. Chronique d’une crise annoncée ou effets de la campagne anticorruption? Le résultat sonne plutôt comme le début de la fin des années folles en Chine «qui a besoin de consommateurs rationnels», suggère David Chang.
En 2013, les ventes de montres suisses en Chine continentale ont reculé de 12,5% à 1,45 milliards de francs. Coup de frein d’autant plus déstabilisant pour l’industrie horlogère helvétique qui, paradoxalement, boucle l’année sur un nouveau record (+1,9% à 21,83 milliards de francs) car les ventes mensuelles de son troisième plus grand marché sont en dents de scie (de +19 à –34%). Que se passe-t-il en Chine? Pour David Chang (常伟), rédacteur en chef du magazine chinois «Perfect Time» et l’un des principaux leaders d’opinion du pays, «C’est surtout le secteur de la haute horlogerie qui a stoppé sa progression alors que le moyen de gamme comme Tissot n’est absolument pas impacté et rencontre toujours un franc succès». Même analyse pour le cabinet-conseil Bain & Company, le segment de la montre de milieu de gamme aurait augmenté de 13,9%, supporté par la croissance économique des villes chinoises de deuxième ligne et facilité par des tarifs légèrement à la baisse. En revanche, plus la montre est chère, plus la chute est grande et plus les détaillants taillent les prix, à l’image de cet acheteur de Shanghai qui s’est vu proposer d’office 60% de rabais sur la collection d’un célèbre joaillier-bijoutier parisien.
La campagne anticorruption du gouvernent a-t-elle vraiment dissuadé la clientèle du segment du luxe? «L’influence politique est évidente car, avouons-le, les montres en guise de cadeau sont une spécialité chinoise. Mais dans la balance, il ne faut pas non plus négliger l’aspect économique qui pourrait d’ailleurs devenir prépondérant», explique Chang. Dans ce contexte, comment se portent les principales marques nationales? «Grâce à un judicieux positionnement dans le moyen de gamme, leur ventes progressent et les marques poursuivent l’extension des réseaux de vente. Certaines sont même devenues très actives dans le haut-de-gamme, parfois en célébrant les arts chinois.» L’exercice 2014 a débuté sur un rebond des ventes, peut-on espérer une reprise sur toute l’année? «Non, 2014 sera l’année du ralentissement et c’est finalement une bonne chose car la Chine a besoin de consommateurs rationnels. Seules les marques qui répondront à cette demande auront du succès. Chaque modèle – national ou étranger – devra ajuster son prix et le marché, devenir plus transparent», conclut le journaliste.
Tendances
L’année 2013 enregistre une forte croissance de la montre-bijou pour femme et, en termes de volume de vente, les consommatrices sont en train de rattraper leur retard sur les hommes. Plusieurs marques ont déjà réorienté leur collection dans ce sens, une stratégie qui pourrait partiellement compenser les pertes de la campagne anticorruption qui ne faiblira pas en 2014. Précisons au passage que les consommatrices du luxe en Chine sont également de plus en plus attirées par les aspects techniques d’une montre! Autre surprise, malgré la baisse des ventes en Chine continentale, la part de marché des acheteurs chinois a fortement augmenté en 2013, représentant désormais près d’un acheteur sur trois dans le monde – et plus d’un tiers dans le segment du luxe! La baisse des ventes sur le marché chinois est donc en réalité une délocalisation du shopping à l’étranger, loin des zones de contrôle (Hong Kong et Taïwan, également en fort recul), indéniablement stimulée par la campagne de Xi Jinping. Selon le cabinet Bain & Company, les deux-tiers des Chinois font désormais leur shopping de luxe à l’étranger. Attention, ces achats ne sont pas systématiquement personnels, ils alimentent aussi des réseaux de vente parallèles. A ce jeu, le gouvernement de Pékin perd des fortunes en taxes d’importation mais gagne énormément en termes d’image. Le but n’est pas désintéressé puisqu’il permet de rassurer les investisseurs étrangers et d’encourager les échanges commerciaux internationaux. Dans l’épais brouillard de particules fines et sous les couches plus ou moins cryptées d’internet, le citoyen chinois sait que la lutte contre la corruption est un miroir aux alouettes, à l’image de la lutte contre la pollution ou du respect des droits de l’homme.
Evénements 2013
24 avril: après Porsche Design et surtout Eterna, le groupe hongkongais China Haidian (Ebohr, Rossini et CodeX) prend le contrôle de Corum. On savait la marque à la recherche d’un repreneur, mais l’annonce faite le jour de l’ouverture de BaselWorld choque davantage qu’elle ne rassure.
21 juin: le Parlement suisse adopte la loi Swissness fixant à 60% la valeur suisse minimale sur les produits industriels «Swiss made». De son côté, l’industrie horlogère chinoise boude la décision car, en plus d’être privée de joint-ventures avec l’horlogerie suisse, les fournisseurs chinois vont perdre des commandes. Certains dressent déjà une liste de célèbres marques n’atteignant pas ce quota. N’en déplaise aux industriels chinois, force est de reconnaître que le transfert de technologies dans ce domaine est quasi nul alors qu’il est préoccupant dans tous les autres.
27 juin 2013: Sea-Gull – le plus gros fabriquant de mouvements mécaniques au monde en termes de volume – dévoile un tourbillon multi-axial au Salon horloger de Shenzhen, probablement la plus grande complication du pays.
6 juillet 2013: signature de l’accord de libre-échange Suisse – Chine, entériné par le National le 10 décembre à une écrasante majorité. L’accord prévoit une réduction progressive des droits de douane, étalée de 5 à 15 ans selon le secteur d’activité. Pour les montres helvétiques en Chine, la baisse de taxe de 60% s’échelonnera sur dix ans, la première année de 18% et les suivantes de 5%. Sur le marché, on constate déjà une baisse des prix, mais encore non chiffrable.
25 septembre 2013: lancement de la Samsung Gear, première véritable smartwatch et déjà suivie de plusieurs modèles concurrents. Friands de produits high-tech, les Chinois se posent la question des répercutions sur l’horlogerie traditionnelle, la montre multimédia sud-coréenne est-elle en 2013 ce que la japonaise Seiko Astron Quartz a été en 1969?
25 septembre 2013: Watches & Wonders occupe les halles de l’Exhibition Center de Hong Kong pour devenir le premier salon de haute horlogerie en Asie. Il est l’équivalent du SIHH de Genève, mais adapté aux goûts locaux.
21 octobre: La Comco a approuvé la décision du Swatch Group de réduire progressivement l’approvisionnement de mouvements mécaniques ETA aux clients tiers. L’industrie horlogère chinoise y voit une opportunité de vendre davantage ses mouvements et composants aux marques indépendantes.
Source: Europa Star April - May 2014 Magazine Issue