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Un drôle de sentiment…

April 2014


BaselWorld, cette année, nous a laissés avec un drôle de sentiment… Dans les allées plus munificentes que jamais, tout donnait l’impression que les affaires tournaient à leur rythme de croisière habituel, “business as usual”. Mais à y regarder de plus près, on sentait en fait beaucoup de frilosité, pas mal de timidité, quelques pointes d’anxiété. Un peu comme si l’on arrivait au bout d’un certain modèle, qu’un carrefour se profilait désormais à l’horizon, que les choses ne seraient plus vraiment comme avant. “Avant”? Oui, vous savez, quand la Chine était un véritable Eldorado, quand les plus folles machines mécaniques se vendaient comme des petits pains, quand on s’ébahissait encore devant le moindre tourbillon, quand on n’avait pas encore entendu parler de montres “intelligentes”…

Hier, en d’autres termes.

Car force était de constater une forme de repli général, comme une tendance conservatrice: moins de monstres mécaniques sur-compliqués, des tailles bien plus modestes, un classicisme affiché, plus de simplicité, des prix plus contenus. Une normalisation, pour l’appeler différemment. Les pièces les plus folles, voire les plus “obscènes” comme cette “montre” Graff annoncée à 50 millions de francs (soit la “montre” la plus chère au monde), tenaient lieu d’écran de fumée. Derrière ces talking pieces, ce qui s’échangeait “pour de vrai” était d’allure beaucoup plus discrète, comme si l’horlogerie avait acté le gouffre qui sépare désormais les super-riches et les autres, tous les autres.

La véritable star de BaselWorld 2014 c’est en fait la montre dite de “moyen de gamme”. En-soi, c’est une bonne nouvelle. L’horlogerie suisse avait pris la direction de la stratosphère; elle revient désormais sur terre. Ce retour à un plus grand réalisme ne s’est pas fait volontairement et en toute conscience mais sous la pression des faits: les tiroirs des détaillants et les coffres des boutiques monomarques ont été remplis à ras-bord, gonflant artificiellement toutes les statistiques; la Chine a lancé ses campagnes (largement hypocrites) contre la corruption dont, graduellement, la “montre suisse” était devenue le symbole le plus voyant. Ailleurs, la récente découverte de dizaines d’écrins vides dans la demeure de Ianoukovitch a montré ce que cet appétit des tyrans pour l’horlogerie suisse avait de néfaste en termes d’image.

Porter une belle et coûteuse montre est ainsi devenu non plus le signe de culture et de raffinement qu’il devrait être mais bien souvent une preuve de corruption et de malhonnêteté.

Par ailleurs, l’exceptionnel s’est banalisé au point de rendre désirables des créatures moins flamboyantes, au caractère plus réservé, aux contours plus délicats, aux lignes plus modérées, à la distinction plus sobre.

Autre constat: BaselWorld portant bien son nom, l’horlogerie suisse, qui vit bien souvent en vase clos, y est confrontée à l’émergence de toute une série de marques et d’initiatives provenant du monde entier auxquelles elle doit désormais se confronter. Fossil, par exemple, avec ses montres à bas prix et son chiffre d’affaires tutoyant les 3 milliards de dollars est désormais le 4ème groupe horloger au monde, les Chinois de Seagull présentaient cette année un double tourbillon imparfaitement terminé mais parfaitement réglé, Armani se lance désormais dans le Swiss Made, tout comme Ice-Watch… etc… etc… Autant d’annonces et de constats qui sont en train de rééquilibrer le marché. Reste une inconnue, de taille: alors que tout le monde fait le dos rond en attendant la probable déferlante de smartwatches, Apple en tête, personne, dans les couloirs bâlois, n’en parlait! Le calme avant la tempête? Un drôle de sentiment, vous disais-je.