En Italie et ailleurs, on trouve régulièrement des annonces proclamant: «Achetons or, argent et Rolex». Plus qu’une «simple» montre, au-delà de sa valeur symbolique et statutaire, Rolex est depuis longtemps devenue l’équivalent d’une valeur-refuge que l’on conserve précieusement en vue d’un éventuel coup dur. Les témoignages ne manquent pas, à l’image de cet internaute qui déclare dans un forum: «une Rolex, pour moi n’est pas un symbole de réussite sociale, mais l’assurance d’avoir au poignet un instrument soigné dans tous les détails, d’avoir une montre qui dans 40 ans ne sera toujours pas démodée. Autre particularité, Rolex est la seule marque vendable immédiatement en cas de besoin pécuniaire sans trop y perdre! J’en ai fait l’expérience».
Ce statut unique, faut-il le rappeler, n’est pas le fruit du hasard mais le résultat d’une conjonction entre la qualité d’un produit sans cesse amélioré et un «marketing» pionnier qui, dès l’origine de la marque, a patiemment édifié et sans cesse consolidé une image de robustesse, de fiabilité, de professionnalisme. Née comme un instrument d’avant-garde (automatisme, étanchéité), ce n’est que graduellement que la Rolex a acquis son statut d’objet-symbole de réussite ou de rang social.
Au risque qu’à présent cette image se retourne contre elle, comme on l’a bien vu avec l’intense polémique née en France il y a quelques années suite aux déclarations d’un publicitaire imbécile et bronzé aux UV qui n’avait pas trouvé mieux que d’affirmer que «si à 50 ans on n’a pas une Rolex, on a raté sa vie»
Rolex est devenue ainsi à son corps défendant l’emblème même du Luxe, alors que les produits de la marque à la couronne présentent sans doute un des meilleurs rapports qualité/prix de toute l’industrie horlogère.
Le risque que sous les attaques et les polémiques cette image d’excellence se lézarde peu à peu, que l’objet-Rolex passe graduellement d’icône désirable à symbole détestable, n’est sans doute pas à écarter d’un simple geste de la main. Jusqu’à présent, Rolex, fidèle à son goût pour le silence, semblait faire le dos rond. La récente nomination-surprise à sa tête de Jean-Frédéric Dufour marque certainement un changement ou, plus finement, un ajustement de stratégie. Il fallait ainsi contrer le risque de «ringardisation» progressive et montrer que Rolex n’est pas le seul Fort Knox de l’horlogerie mais une entreprise puissante et vivante, créative, dynamique, tournée vers l’avenir.
Voir arriver à la direction générale du géant un visage jeune et charismatique (Jean-Frédéric Dufour a 45 ans), qui plus est grandi hors du sérail (il était CEO de Zenith après avoir travaillé notamment chez Chopard) est en soi une petite révolution. Et le signe évident que «l’Empire» a décidé de contre-attaquer. Mais si «contre-attaque» il y aura, elle ne prendra pas pour autant un tour spectaculaire.
Ainsi, il ne faut pas s’attendre à un changement radical d’attitude, à ce que Rolex, adepte de la plus grande retenue médiatique, se mette à communiquer haut et fort à tous vents et dans tous les sens. Non, il s’agit bien plus d’un patient travail qui sera mené avec précaution, visant à réaffirmer la pertinence de son approche horlogère notamment auprès de nouvelles générations pour lesquelles Rolex faisait parfois figure de montre de notable. Ainsi, paradoxalement, Jean-Frédéric Dufour devra faire chez Rolex le contraire de ce qu’il a fait, avec succès, chez Zenith. Nommé après le trop flamboyant Thierry Nataf, il a dû, chez Zenith, calmer progressivement les choses, les ramener à plus de raison et à plus de sérieux horloger. A la direction générale de Rolex, il devra au contraire apporter au sérieux horloger régnant une touche de jeunesse et de flamboyance. Mais, grand avantage de la stabilité des «empires», il sait qu’il a pour cette tâche tout le temps devant lui.
Source: Europa Star June - July 2014 Magazine Issue