Les relations se durcissent. Plus aucun cadeau n’est fait. Swatch Group va massivement augmenter sa part de boutiques en propre
L’horlogerie, surtout haut de gamme, durcit le ton face aux détaillants horlogers. Depuis une dizaine d’année, les relations entre les deux partenaires, sans l’ombre d’un nuage jusque-là, ont pris un tournant tout différent. Au grand dam des détaillants et distributeurs horlogers. Exit le temps béni des relations idylliques. Le phénomène n’est pas nouveau, les boutiques monomarques bourgeonnent depuis plus d’une décennie, mais le ton monte et plus rien ne sera pardonné. Dans les colonnes du Temps, Bernard Fornas, co-directeur général du groupe Richemont mettait récemment en garde: «La distribution doit arriver à un niveau d’excellence.
Richemont possède 1043 boutiques dans le monde, Swatch Group vise 35% de ventes en nom propre
Il faut que les détaillants deviennent encore davantage des partenaires, qu’ils nous aident à construire nos marques et à projeter cette image sur les points de vente. Il est vrai, et je pèse mes mots, que l’on est devenu nettement plus sévères sur la qualité de nos partenaires.» En d’autres termes, certains d’entre eux ne sont plus à la hauteur. Le groupe genevois de luxe a donc multiplié les ouvertures de boutiques en propre ou en franchise ces dernières années. Pour preuve, l’entreprise basée à Bellevue génère désormais 52% de son chiffre d’affaires via son propre réseau de ventes. A fin septembre 2013 (sur la base du premier semestre de son exercice décalé 2013-2014), le groupe possédait 1043 boutiques à travers la planète. Un record en la matière.
SWATCH GROUP: “ENCORE DU CHEMIN”
Swatch Group, légèrement en retrait, n’est cependant pas en reste. Le numéro un mondial de l’horlogerie va poursuivre la densification de son maillage de boutiques en 2014 et dans les années à venir. Alors que pour l’heure, les points de vente en propre génèrent 20% de l’ensemble du chiffre d’affaires, cette part est appelée à fortement progresser à l’avenir. Dans un horizon qui n’a pas été détaillé, leurs ventes pourraient atteindre les 30 à 35%, a récemment déclaré Nick Hayek. Pour le patron du leader mondial de l’horlogerie, «il y a encore du chemin».
Non seulement de très nombreuses marques du groupe se verront dotées de nouveaux emplacement, mais également les points de vente multimarques vont continuer de fleurir sur le globe. Comme ceux d’Hour Passion, enseigne qui regroupe les marques haut et moyen de gamme du groupe. Présente dans les aéroports depuis 2004, la chaîne disposait à fin 2013 d’une cinquantaine d’emplacements, comme en Chine, en Italie, en Allemagne ou encore au Royaume-Uni. L’an dernier, ce concept a été déployé dans certains centres urbains, tels Londres, New York, Las Vegas, Kuala Lumpur ou encore Poznan en Pologne. Le premier déploiement dans un centre-ville l’a été à Paris, rue de Sèvre.
- Boutique Breguet Shanghai
Marque de Swatch Group, Omega, en à peine treize ans, a ouvert 123 boutiques en propre, pour un total de plus de 322 unités. Et son patron ne cache pas sa préférence aux boutiques monomarques par rapport aux détaillants. Stephen Urquhart a ainsi confié au Temps. «Dans un monde idéal, nous n’aurions que des points de vente corporate. On contrôle ainsi notre destin. Cela évite tous les risques inhérents à un partenariat, comme les changements de propriétaire ou les faillites», selon lui. Voilà les détaillants mis en garde. Des déclarations qui ne sont d’ailleurs pas passées inaperçues et ont suscité quelques remous en Allemagne. Les marques craignent surtout que leurs concurrentes soient mieux vendues, mieux présentées ou mises en avant dans un boutique monomarques. Au final, tout dépend de la marge proposée au détaillant. Et ce chiffre baisse tendanciellement, constate Manuel Emch. Il serait ainsi passé en moyenne de quelque 40 à 50% à moins de 30% ces dernières années, estime le patron de RJ Romain Jerome.
ROLEX, UNE EXCEPTION DE TAILLE
La plupart des marques ne peuvent toutefois pas se passer (complètement) de leurs partenaires. Et d’ailleurs ce n’est pas l’objectif recherché. Ainsi, Omega, en sus de ses boutiques, fait appel encore à 3000 points de vente. Mais la pilule a parfois de la peine à passer. «La marque X [ndlr : nom connu de la rédaction] a ouvert une boutique dans la même rue que mon magasin. Nous sommes pourtant partenaires depuis plus de trente ans. C’était comme un coup de poignard dans le dos. Surtout qu’ils ne m’en avaient pas informé officiellement», témoigne le propriétaire de plusieurs points de ventes horlogers en Suisse. Toutes les marques ne développent toutefois pas un maillage de boutiques en propre. Rolex constitue à cet égard une exception de taille et cultive sa singularité. Pas d’offensive de boutiques en propre pour la marque à la couronne. Le géant genevois privilégie les relations avec ses détaillants historiques, à l’image de Bucherer en Suisse, arguant qu’il s’agit de deux métiers bien différents. A l’avenir, le groupe ne devrait pas infléchir cette approche, nous assure-t-on. La manufacture horlogère Patek Philippe, qui a toutefois nettement réduit le nombre de points de ventes ces dernières années (de 750 à 450), mise toujours et encore sur ses partenaires. Selon son président Thierry Stern, « sans eux, nous n’existerions tout simplement pas».
Les boutiques de marques réduisent-elles les ventes des détaillants? La réponse, toute en diplomatie et en langue de bois, est négative. Difficile toutefois de croire que cette offensive soit restée sans effet. Alors que la marque horlogère Hublot a ouvert 70 boutiques dans le monde depuis 2007, ce sont des milliers de ventes qui ont échappé aux autres points de vente. Aucun détaillant n’ose cependant dire ouvertement que les temps sont devenus plus difficiles. Les différents magasins estiment qu’ils ont toujours un rôle à jouer en offrant de la diversité, en proposant différentes marques à leurs clients. Bref, ces derniers ont le choix. Il faut aussi dire que la progression stratosphérique des ventes horlogères ces dernières années a permis d’atténuer le phénomène. Et que les détaillants ont de surcroît pu profiter du tourisme d’achat, notamment émanant des Chinois. Mais qu’en sera-t-il une fois un fort ralentissement venu? Qui des monoboutiques ou des détaillants saura alors tirer son épingle du jeu? La réponse vaut se pesant d’or.
Source: Europa Star June - July 2014 Magazine Issue