A la faveur d’un semble-t-il “retour à la simplicité” mécanique, Europa Star a cherché en compagnie de quelques horlogers à débroussailler les complexes chemins de la simplicité.
Avec les participations de Denis Flageollet (De Bethune), François-Paul Journe (F.P. Journe), Edouard Meylan (H. Moser & Cie.), Luc Perramond (La Montre Hermès), Sandro Reginelli (Maurice Lacroix) et Jean-Marc Wiederrecht (Agenhor).
Après des années de “démesure” mécanique, on semble effectivement assister à un retour à plus de “mesure”, tant au niveau technique que du point de vue esthétique. La surenchère démonstrative qui a poussé designers et constructeurs à exhiber les “entrailles” de leurs garde-temps, à gonfler leurs dimensions et à empiler les complications est en net reflux, comme on a pu le constater à Bâle cette année.
La simplicité, la pureté de l’apparence, la sobriété des matériaux sont à nouveau privilégiés par nombre de marques et de créateurs fort différents et œuvrant dans tous les segments de prix. Est-ce là un constat objectif et partagé ou une seule impression subjective? Pour en avoir le cœur net et mieux comprendre ce phénomène – si tel était le cas – Europa Star a interrogé divers acteurs du monde horloger.
“Les contraintes auxquelles sont soumises les montres bracelet sont telles que toute complexification rend la montre plus fragile.” Jean-Marc Wiederrecht (Agenhor)
Un retour à plus de simplicité?
Assiste-t-on réellement à un retour à plus de simplicité et de “mesure” horlogères?
Sur ce premier point, le constat du retour à la simplicité semble en effet largement partagé et pour la plupart des observateurs cette tendance n’est pas une surprise mais s’est graduellement dessinée depuis quelques années. Ainsi, pour un Luc Perramond, CEO de La Montre Hermès, “depuis plusieurs années déjà, nous ressentons ce retour à des objets plus authentiques sans superflu technique ou esthétique”. Pour un Sandro Reginelli, directeur Produits et Marketing de Maurice Lacroix, “cette tendance est donnée, très clairement... On a pu la voir arriver depuis quelque temps déjà, mais elle est désormais bien installée.” Même son de cloche chez Jean-Marc Widderecht, d’Agenhor, un constructeur indépendant qui œuvre pour nombre de clients fort différents et dispose donc d’une vue très large du marché. Selon lui, “effectivement le nombre de pièces très compliquées souvent sans raisons évidentes avec des esthétiques complexes et chargées semble en régression. Une nouvelle tendance”néo-classique“basée sur des mécaniques beaucoup plus sobres et surtout beaucoup plus plates progresse depuis quelques années déjà.”
Mais un Denis Flageollet, co-fondateur et directeur du département technique de De Bethune, tempère ces affirmations: “J’espère pouvoir faire un jour ce constat car la démesure mécanique n’inspire que problèmes et débouche finalement sur un désintérêt” nous déclare-t-il, sous-entendant qu’il reste encore un long chemin à accomplir pour parvenir à plus de “mesure”. Mais s’il rejette la “démesure mécanique”, il plaide avec force pour “la démesure créative” qui elle, “est toujours pleine de sens et devrait pouvoir nous astreindre à la simplicité. Soyons donc créatifs et nous atteindrons peut-être cette bonne”mesure“!”.
Une intéressante injonction qui, comme nous le verrons plus loin, repose sur un tout autre constat: faire “simple” est compliqué.
“Ce ne sont pas les outils qui ont complexifié les mouvements mais les hommes à la recherche d’avantages concurrentiels. En agissant ainsi, ils ont perdu le sens du bel objet.” Luc Perramond (La Montre Hermès)
Simplicité, un simple effet de balancier?
Ce “retour” à plus de simplicité est-il un simple effet de balancier ou un phénomène qui s’inscrit dans la durée? Les raisons plus profondes sont-elles d’ordre sociétal, économique?
“A mon sens, le classique et l’élégant ont toujours été présents. Mais il me semble que ce sont les extrêmes qui ont changé. On a coupé un des pieds de la courbe de Gauss et on revient à des montres plus classiques, plus épurées”, pense Edouard Meylan, le jeune CEO de H. Moser & Cie, une marque emblématique de la recherche d’une certaine pureté horlogère. Selon lui, le phénomène est clairement sociétal et cyclique: “Le luxe existe depuis des millénaires, mais la façon de consommer le luxe évolue. Ce phénomène est-il cyclique ? Certainement.”
De même, aux yeux de Sandro Reginelli, “on constate un peu partout un retour aux sources, à l’authenticité. C’est une tendance lourde, qui n’est pas spécifiquement propre au secteur de l’horlogerie. D’un point de vue sociétal, on se dirige vers une exigence de légitimité de la part du consommateur, que ce soit au niveau esthétique et technique, mais aussi environnemental, historique. La course au superflu est clairement enterrée, on souhaite un retour à la simplicité.”
Pour Luc Perramond, c’est tout aussi clairement “une tendance de fond après des années d’excès et d’euphorie. Une tendance qui, note-t-il en passant, bénéficie à Hermès qui a toujours privilégié la simplicité, la discussion, la fonction utile, l’authenticité, le design sans superflu.”
Jean-Marc Wiederrecht lui aussi y voit un effet de retour de balancier. “Comme dans la plupart des domaines de la vente, la durée de vie des produits est de plus en plus courte. L’horlogerie, pour les mêmes raisons commerciales et de marketing, se doit de proposer des changements très fréquents; au sortir d’une période de forte représentation de montres très”musclées“il est assez logique que le retour de balancier soit puissant” analyse-t-il.
A son tour, Denis Flageollet tente de développer sa pensée, répétant que ce retour à la simplicité, s’il n’est pas encore pleinement avéré à ses yeux, “ne pourrait être que salutaire! Mais je parlerais plus d’un besoin d’équilibre que de simplicité, certainement causé par une société qui manque cruellement de stabilité.”
Quant à un François-Paul Journe, il botte en touche et ramène le phénomène à un simple effet de mode. “Une marque fait un truc spécial qui est vu, voire même acheté, alors dix autres suivent et ça crée un phénomène de mode… Maintenant, ça ne me concerne pas, je ne suis pas les autres, je fais mon chemin avec mes idées et si elles plaisent tant mieux, sinon je les remets dans ma guitare, comme disait le chanteur George Brassens.”
“les marchés les plus établis qui semblent consommer un luxe moins ostentatoire que les marchés émergents. Donc, au fur et à mesure que les marchés émergents deviennent de plus en plus établis, il n’est pas surprenant de voir une tendance vers le classique dans ces marchés.” Edouard Meylan (H. Moser & Cie)
La simplicité sur tous les marchés?
Ce retour à la simplicité est-il observable sur tous les marchés?
Pour Denis Flageollet, la simplicité ou ce qu’il nomme plus précisément “l’équilibre” est une question d’éducation et de culture. Et le véhicule principal de cette évolution vers l’équilibre passe par l’émotion. “L’émotion de l’amateur le transforme progressivement en esthète et l’esthète reconnaît le parfait équilibre. Partout dans le monde, sans différenciation, des êtres humains se tournent vers cette recherche noble. Souhaitons que leur nombre augmente chaque jour.”
Mais Sandro Reginelli est quant à lui plus pragmatique: "De manière beaucoup plus triviale, cette tendance est aussi due en grande partie à l’influence grandissante du marché asiatique, et plus spécifiquement du marché chinois. La demande de ces marchés s’oriente clairement vers des garde-temps 3 aiguilles et de plus petit diamètre, ce qu’ils identifient aujourd’hui comme la référence du code horloger Suisse, du «Swiss Made».
Ce que corrobore à sa façon Edouard Meylan tout en renversant les pôles de la discussion car à ses yeux, ce sont "les marchés les plus établis qui semblent consommer un luxe moins ostentatoire que les marchés émergents.
Donc, au fur et à mesure que les marchés émergents deviennent de plus en plus établis, il n’est pas surprenant de voir une tendance vers le classique dans ces marchés." Deux points de vue donc contradictoires sur les influences réciproques d’un marché à l’autre. Le débat reste donc ouvert: le retour à plus de classicisme est-il du fait des Chinois ou des consommateurs les plus avertis? Des deux, sans doute.
L’effet des montres dites “intelligentes”?
L’avènement annoncé des montres dites “intelligentes”, renforcera-t-il par contrecoup ce retour à un classicisme horloger plus affirmé?
Il se pourrait bien, en effet, que le retour déjà constaté aux fondamentaux horlogers soit encore accentué par l’arrivée d’un nouveau type de concurrence, les smart watches. Sur cette question brûlante, mais souvent esquivée par les horlogers suisses, c’est Sandro Reginelli qui fournit la réponse la plus étayée. Pour lui, il s’agit d’un “vaste débat auquel il est très difficile de répondre à l’heure actuelle. Il est clair que les montres intelligentes - les fameuses smart watches dont tout le monde parle – d’ores et déjà présentes sur le marché sous forme de gadgets, n’ont pas encore atteint leur maturité technologique. Le produit reste encore à définir, sa valeur ajoutée n’étant en l’état actuel pas encore vraiment perceptible. Mais on peut d’ores et déjà simplement constater que cette nouvelle donne fera indiscutablement évoluer notre industrie. Dans quel sens? Cette arrivée va-t-elle renforcer, par effet de miroir, le classicisme du secteur horloger ou au contraire provoquer une cohabitation progressive, pourquoi pas en imaginant des garde-temps à la fois mécaniques à l’allure classique mais offrant en parallèle une technologie « intelligente » avancée? À en juger par certains indices, comme par exemple l’intérêt qu’Apple porte à l’industrie horlogère traditionnelle ou au concept de certains nouveaux arrivants sur le marché tels que la marque Withings, ou à la naissance probable de la montre hybride « Meca-Intelligente » (c’est peut-être la surprise que nous prépare Apple…) j’aurais tendance à pencher vers cette seconde hypothèse. Reste à souhaiter que cette révolution se fasse dans le velours et pas dans le sang. Il n’est souhaitable pour personne de revivre une crise telle que celle que nous avons subie dans les années 1970 lors de l’avènement du quartz.”
C’est également ce que pense Denis Flageollet qui y voit cependant une opportunité quand il nous déclare que les smart watches provoqueront “un manque d’émotion au poignet, manque qui sera comblé par des objets purs et empreints de discernement.”
Ce que partage pleinement Edouard Meylan, pour qui ce phénomène nouveau “aura une influence certaine, même si les montres connectées sont pour moi des outils et pas des objets de luxe. Leur design obligatoirement plus « technique » devrait pousser les tendances horlogères vers encore plus de classicisme afin de renforcer la démarcation.”
Un point de vue que développe Jean-Marc Wiederrecht quand il explique “qu’effectivement, l’apparition de ce nouveau type d’objet ne donnant d’ailleurs que très accessoirement l’heure, oblige à faire un point de situation dont il ressort très clairement que les montres”intelligentes“permettent / permettront d’offrir des prestations tout à fait inimaginables avec les moyens mécaniques composant les montres actuelles. Partant de ce constat, il est logique que les marques essayent de se différencier de ces nouveaux objets en renforçant et en communiquant les atouts qui ont fait le succès des montres mécaniques, tels la beauté et les extraordinaires qualités microtechniques nécessaires au bon fonctionnement de nos bons vieux garde-temps, en mettant en avant la bienfacture et le respect de concepts de construction souvent très anciens.”
Mais Luc Perramond, lui, ne pense pas qu’il y ait influence réciproque. A ses yeux, “les deux phénomènes ne sont pas liés. Il s’agit de deux marchés différents avec des clientèles aux besoins très différents.” Mais qui sait? La perméabilité des frontières est peut-être plus grande qu’on ne l’imagine et le “classicisme” pourrait changer de camp. Le design d’Apple, avec ses lignes pures et sa simplicité graphique, obligera peut-être l’horlogerie à se distinguer en exhibant à nouveau ses uniques entrailles mécaniques?
Design informatique VS simplification?
Les outils informatiques de conception ont-ils, par leurs extraordinaires potentialités, contribué à rendre plus complexes des mouvements qui auraient pu au contraire être simplifiés?
La course à la complexité horlogère et à l’empilement de composants s’est très nettement amplifiée avec l’apparition de nouveaux instruments de conception assistée par ordinateur directement couplés à des machines CNC de plus en plus performantes. Cette liaison entre informatique et mécanique a permis de réaliser des dispositifs et des mécanismes très sophistiqués, accélérant la course à une certaine “démesure” horlogère.
Pour Denis Flageollet, c’est une évidence car “trouver une solution à un problème est tellement facilité par de tels outils que de nombreux ingénieurs et constructeurs ont perdu le sens premier de leur métier, qui est celui de trouver LA solution. Mais heureusement bon nombre d’entre eux savent aussi garder l’esprit serein face à la puissance de ces outils.”
Aux yeux de Jean-Marc Wiederrecht, ces outils informatiques ont un double visage, à la fois positif et négatif. Car, comme il nous l’explique, "l’extraordinaire puissance des nouveaux outils informatiques et également des nouveaux moyens de production (matériaux, usinages) a permis la réalisation d’objets impossibles à réaliser ou même à imaginer dans un passé pas si éloigné. Et ces progrès ont souvent permis de grandement améliorer la qualité des produits et de proposer des montres souvent plus précises et dotées de nouvelles fonctionnalités. Mais malheureusement, avec ces outils la tentation est également grande de moins réfléchir et donc de permettre la réalisation de montres qui s’avéreront plus complexes que nécessaires et donc plus chères et moins fiables.
“Une opinion que partage Edouard Meylan, pour qui”beaucoup d’OVNIS horlogers sont nés grâce au potentiel de ces outils et de nouvelles technologies comme le LIGA. Tout est possible sur ordinateur et beaucoup de concepteurs et de marques en ont fait les frais. Car il n’est pas facile de passer d’un concept sur ordinateur à un objet fiabilisé et rentable. Il est important dans tout cahier des charges de se fixer des objectifs de prix. Cela force à avoir une approche industrielle et de simplification et cela a en principe aussi pour bénéfice d’augmenter la fiabilité."
“Quelle que soit la puissance ou le potentiel offerts par la technologie informatisée, il faut bien comprendre que ce n’est pas l’outil mais l’homme qui développe les mouvements.” Sandro Reginelli (Maurice Lacroix)
Mais plutôt que de s’en prendre aux outils, d’autres de nos observateurs pointent la responsabilité première de l’homme qui manie ces outils, ce que résume parfaitement Luc Perramond quand il dit que “Ce ne sont pas les outils qui ont complexifié les mouvements mais les hommes à la recherche d’avantages concurrentiels. En agissant ainsi, ils ont perdu le sens du bel objet.” Une opinion largement partagée par Sandro Reginelli pour qui, “quelle que soit la puissance ou le potentiel offerts par la technologie informatisée, il faut bien comprendre que ce n’est pas l’outil mais l’homme qui développe les mouvements... (tous). En règle générale, les complications ou les évolutions techniques sont d’abord imaginées par l’esprit créatif des horlogers. Les outils informatiques n’interviennent qu’ensuite en facilitant les tâches de développement, de calcul et de conceptualisation, rétrécissant le temps nécessaire à une éventuelle industrialisation et définissant mieux le champ des possibles.”
Avec son franc-parler habituel, François-Paul Journe taille à vif dans le débat: “C’est très difficile dans un bureau d’études de trouver des gens qui simplifient, ils dessinent et après que les horlogers se débrouillent! Lorsque je faisais mes montres à la main et les pièces avec la scie et la lime, je peux vous dire que chaque pièce de moins à fabriquer était une bonne nouvelle. C’est pour cela que j’ai toujours simplifié et essayé de faire des pièces à double fonction, c’est devenu avec le temps un réflexe.”. La simplification serait-elle donc fille naturelle du travail manuel?
“Faire simple est bien plus difficile que faire compliqué” François-Paul Journe (F.P. Journe)
Simplification plus complexe?
Comme le dit Ludwig Oechslin, la voie de la simplification “oblige à penser plus”. Y parvenir est donc plus complexe conceptuellement que la voie consistant à “empiler” les composants?
Ce paradoxe – être simple est plus compliqué – est relevé par l’ensemble de nos intervenants. “Faire simple est bien plus difficile que faire compliqué”, surenchérit François-Paul Journe, “et ceux qui font compliqué ne se posent en fait pas les bonnes questions, ils vont à la facilité.” C’est ce que dit en d’autres termes Denis Flageollet quand il affirme que “la voie de la simplification oblige aussi à ’maîtriser plus’ et à ’se cultiver’ plus”.
Sandro Reginelli évoque lui aussi cette question de la culture horlogère. S’affirmant totalement en accord avec Ludwig Oechslin, dont il souligne en passant le rôle précurseur dans ce mouvement de retour à la simplicité, il rappelle qu’il "faut se remémorer les fondamentaux de l’histoire horlogère pour pouvoir les repenser. Il est certain que le besoin de se démarquer de ses compétiteurs et la course à l’innovation à laquelle le marché et les médias nous obligent ont sans doute poussé nos constructeurs à prendre la voie de la surenchère. Il est effectivement tellement plus facile et rapide d’empiler.
Mais au final nous en sommes ramenés à la définition que Leonard de Vinci en faisait à la Renaissance déjà: la simplicité est la sophistication ultime. Les nouveaux besoins de simplicité générés en réaction à cette course effrénée à la complication vont nous obliger à remettre l’ouvrage sur le métier.“Jean-Marc Wiederrecht abonde dans le même sens.”Je suis totalement d’accord avec Ludwig Oechslin. La recherche du “plus simple possible” est absolument nécessaire pour réaliser un “vrai beau” produit horloger. La complexité non nécessaire est une preuve de manque de réflexion qui provoque une augmentation de prix, une fragilité et un besoin de SAV accrus. Le temps consacré à la conceptualisation est fondamental et peut parfois être très long. La phase de construction ne devrait intervenir qu’après avoir pris tout le temps nécessaire pour envisager toutes les voies possibles y compris les plus improbables. Cette “perte de temps” dans la phase de pré-construction permet de décider, dans un premier temps, de l’opportunité de poursuivre ou non le développement ! Puis, s’il est décidé de continuer, de le faire de la manière la plus simple possible.“De ce long et difficile exercice de simplification, Edouard Meylan en donne un exemple concret:” Prenons le cas du mouvement 327 de H. Moser & Cie. Dans la première version de ce mouvement, nous avions 14 types de vis différents. Il a fallu la collaboration de 3 personnes pour arriver à réduire le nombre à 2 types de vis. Le prix d’une vis peut paraître négligeable par rapport à l’ensemble mais, par contre, réduire le nombre de type de vis permet de diminuer les temps d’assemblage et, là, ce n’est plus négligeable."
Gain en fiabilité et en précision?
En choisissant la voie de la simplicité, l’horlogerie gagne-t-elle en fiabilité et en précision?
Jean-Marc Wiederrecht en est plus que persuadé. “Les contraintes auxquelles sont soumises les montres bracelet sont telles que toute complexification rend la montre plus fragile. Il est d’ailleurs piquant de voir que les systèmes complexes, par exemple pour essayer d’améliorer la précision, ne donnent pas de meilleurs résultats au porter que des montres simples et bien réalisées. Les avantages théoriques censés être apportés étant annihilés par l’augmentation des composants nécessaires. La récente”Swatch Sistem51“est certainement la montre automatique la plus simple et contenant le moins de composants jamais construite. Malgré une production à très grande échelle et des prix de fabrication (Suisse!) défiant toute concurrence, cette montre a des fonctionnalités et performances très honorables. Son extrême simplicité a certainement aidé grandement dans ces magnifiques résultats.”
Tandis que Luc Perramond affirme à son tour que “la complexité mécanique génère des risques de mauvais fonctionnement de manière exponentielle” et que Denis Flageollet répond d’un “absolument” sans appel, Sandro Reginelli se montre quant à lui plus nuancé. “Pas forcément. Cette simplicité pourrait n’être à l’avenir qu’apparente, purement esthétique, cachant des complexités techniques. Mais dans l’immédiat et d’un point de vue industriel, n’oublions pas que certaines marques ont massivement investi dans le développement de leurs mouvements actuels, qu’il s’agit désormais de rentabiliser, les tendances s’exprimant par la simplicité dans le design. D’autres se mettent en quête pour l’avenir de simplicité dans la construction de leurs futurs mouvements, parfois même en s’inspirant de pièces remontées de leurs musées maison. Mais au final fiabilité et précision viennent avec le temps et se jugent dans la durée…”. François-Paul Journe lui aussi émet quelques doutes, mais d’un autre ordre: La fiabilité, ce n’est pas si simple. La simplification l’accroît à condition que cela soit bien pensé ! Il faut simplifier mais pas au détriment de la fiabilité. Attention aux pièges ! Cet équilibre est le fruit de l’expérience.“Demeure un constat, que nous livre Edouard Meylan. Nommé à la tête de H. Moser & Cie avec pour tâche principale de fiabiliser industriellement et de rentabiliser les montres si”sobres et essentielles“de la firme de Schaffhouse, il nous adresse un rappel salutaire:”N’oublions pas que même pour les produits simples, il reste indispensable de passer par toutes les étapes de prototypage, de test, de fiabilisation, d’industrialisation. La simplification du produit ne signifie pas la simplification du processus de « go to market ».“Sans même évoquer les”complications“qui s’ensuivent jusqu’à ce que cette montre si”simple" parvienne dans les vitrines, puis en sorte.
Modèles des marques participantes
Agenhor
- Jean-Marc Wiederrecht, Agenhor/Van Cleef & Arpels
Parmi les nombreuses réalisations d’Agenhor, on trouve cette Heure d’ici & Heure d’ailleurs, conçue pour Van Cleef & Arpels. Avec ses lignes minimalistes tout or blanc, un simple cadran blanc avec motif piqué, une aiguille des minutes rétrogrades de l’heure locale et un double affichage de l’heure sautante, c’est la montre à double fuseau horaire qui est ici entièrement réinventée. Offrant une lecture immédiate et parfaitement lisible, le choix de l’heure et de la minute sautante permet de ne mettre en scène qu’une seule aiguille qui se détache dans un décor totalement dépouillé.
De Bethune
- De Bethune, DB29 Chronographe Monopoussoir Tourbillon
Un véritable condensé de simplification horlogère, tant esthétique que mécanique. Compteurs de seconde, minute et heure placés concentriquement pour faciliter la lisibilité, cornes simplifiées à l’extrême pour optimiser le confort au porter, charnière invisible pour commander le double fond et ne pas dénaturer la pureté des lignes, bouton monopoussoir subtilement intégré dans la couronne à 3h
Du point de vue du mouvement, la fonction d’embrayage du chronographe fait l’objet d’un brevet pour sa simplification et ses avantages fonctionnels, la fréquence du tourbillon de 36’000 AH permet de compter facilement le 10ème de seconde, l’armature du tourbillon est faite d’une structure en U plutôt qu’avec des piliers habituels trop lourds pour fonctionner correctement dans une montre bracelet, le balancier est composé d’un centre en silicium cerclé d’or gris, beaucoup plus léger pour une même inertie et plus facilement équilibrable qu’un balancier à vis de haute horlogerie traditionnelle, le spiral est muni d’une courbe plate simplifiée qui évite la complexité d’une courbe Breguet mais a les avantages de garder le centre de gravité parfaitement centré et d’éviter toutes déformations du spiral lors des chocs.
Hermès
- Dressage L’Heure Masquée, La Montre Hermès
“La Dressage L’heure masquée permet de jouer avec le temps, d’oublier le temps grâce à un mécanisme relativement simple mais de conception très avancée. La finesse du module résulte d’une réflexion poussée sur l’architecture du mouvement et la répartition des composants tel un puzzle”, commente-t-on chez Hermès. Après Le Temps suspendu, qui permettait de brouiller l’indication horaire à la demande, L’Heure Masquée est son contraire: en mode “normal”, seule apparaît l’aiguille des minutes et, dans le guichet du bas, seule est visible la mention du mot GMT. Rien de bien lisible donc. Et ce n’est qu’à la demande, en agissant sur un bouton-poussoir intégré à la couronne, qu’on fait apparaître instantanément l’aiguille des heures, qui vient aussitôt se positionner à l’heure exacte, et que se dévoile l’indication de l’heure GMT choisie.
F.P. Journe
- F.P. Journe, Le Chronomètre Souverain
Qualifié par son auteur “d’antithèse de l’horlogerie compliquée”, Le Chronomètre Souverain, puise son inspiration dans la chronométrie de marine des débuts du XIXème siècle. Derrière un cadran épuré qui joue avec subtilité des guillochages et de la taille des chiffres, un mouvement mécanique à remontage manuel oscille au rythme de 21,600 alternances par heure. Deux barillets, selon la configuration classique des montres de précision, opèrent en parallèle afin de fournir une force qui reste stable pendant une bonne partie de leur réserve de marche officielle. Le balancier chronométrique sans raquette, à inertie variable répartie sur quatre poids placés en opposition, subit un réglage dynamique dans six positions différentes. Vus à travers le fond transparent, le balancier et l’échappement sont mystérieusement détachés du mouvement, battant la mesure sans force motrice apparente. De fait, le rouage est placé sous le cadran, ne laissant que la roue de centre pour souligner le splendide isolement du balancier. La simplicité d’une architecture au service de la précision.
Maurice Lacroix
- Masterpiece Gravity, Maurice Lacroix
Equipée du mouvement automatique manufacture Calibre ML230, la Masterpiece Gravity renferme 188 composants, un nombre strictement limité au nécessaire. Un choix délibéré permettant d’offrir une esthétique très pure tout en augmentant la fiabilité. Sa fréquence est de 18’000 A/h (2,5 Hz), une cadence idéale pour le silicium, matériau autolubrifiant qui réduit la consommation d’énergie, augmente la précision et élimine le recours habituel à la lubrification. L’affichage décentré des heures et des minutes repose sur un cadran laqué blanc, bombé au centre et fixé par deux vis polies miroir. Il porte des index diamantés dans le modèle Contemporain et des chiffres romains dans le modèle Classique. Tout autour, le chemin de fer est imprimé sur une surface plane brossée circulaire. Une montre contemporaine, à la pointe du progrès, qui donne l’heure tout en provoquant de l’émotion en s’exprimant de manière très créative.
H. Moser & Cie
- Endeavour, H. Moser & Cie
“Innovante mais très discrète. Tout est dans le détail”, dit-on chez H. Moser & Cie à propos de leur nouvelle collection Endeavour . Une montre qui se présente sous la forme d’une deux aiguilles et petite seconde de 39 mm de diamètre sur 12,5 mm de hauteur qui est tout simplement parfaitement dessinée. D’une élégance imparable, son design emprunte aux stricts codes du Bauhaus des années 20 tout en les mâtinant d’une touche inspirée des années 60: large ouverture de la lunette, très fines et longues aiguilles bâton aux bords incurvés qui parcourent un cadran or rouge fumé, ardoise ou argenté très subtilement soleillé, lignes courbes et aérodynamiques du boîtier surmonté d’une glace bombée… Un équilibre parfait, rarement atteint. Sans oublier une “motorisation” d’avant-garde, avec un nouveau mouvement manufacture, le calibre HMC 327. Un calibre à la finition horlogère traditionnelle, disposant d’une réserve de marche de trois jours au minimum et d’une fonction de stop seconde, mais doté d’une ancre en silicium avec palettes en rubis et d’une roue d’échappement en silicium.
Source: Europa Star August - September 2014 Magazine Issue