François-Paul Journe n’avait encore jamais fait de montre sport. "Pour la bonne et simple raison que je ne fais pas de sport", dit-il en riant. Ses clients, majoritairement collectionneurs, connaisseurs, ou plus simplement adeptes de belle horlogerie discrète sans être pour autant protestante, de sophistication mécanique puisant aux sources encore vives du classicisme, ne sont à priori pas plus portés au sport que lui-même. Si d’aventure un (ou une) de ceux-ci se décidaient à faire un peu de jogging, il n’allait peut-être pas le faire avec sa Journe au poignet. A moins...
A moins qu’on soit à tel point entiché de cette horlogerie immédiatement reconnaissable, qu’on ne puisse s’en passer, même en cas d’effort sportif. Ecoutant ces doléances, les entendant, François-Paul Journe a, à sa façon, relevé le pari et créé pour la première fois une montre,et bientôt une ligne, sportive: la LineSport.
Légèreté de l’aluminium
Pour cet exercice auquel il n’était pas habitué, François-Paul Journe a opté pour la légèreté et pour la robustesse. La légèreté? "Je ne me suis pas lancé dans un concours à la légèreté et, avec ses 55 grammes, elle n’est pas la plus légère du monde. Mais je ne voulais pas commencer à creuser ici ou là pour gagner quelques grammes. L’important est qu’on ne la sente qu’à peine quand on la porte. A tel point que l’autre jour, je me suis dit ’Ah je ne sens plus ma montre’ et quand j’ai regardé mon poignet, effectivement je ne la portais pas!", conclut-il en riant à nouveau.
François-Paul Journe a donc utilisé un aluminium spécial d’origine aéronautique, facile à usiner mais pourtant très dur et très résistant. Dans ce matériau, il a taillé sa boîte, son bracelet intégré ainsi que platine et ponts. Afin de supprimer tout effet d’électroérosion, vis et axes sont en titane.
Pour mieux protéger sa montre des chocs, il a introduit avec finesse des inserts et des protections de caoutchouc surmoulé dépassant légèrement de la surface du boîtier aluminium traité en oxydation et vitrifié.On retrouve ces protections sur les flancs de la boîte, autour de l’épais verre saphir ou encore entre chacun des maillons articulés (très beau dessin de bracelet, soit-dit en passant). Il en résulte une montre très portable, avec son diamètre de 42mm, très confortable, effet encore accentué par les cornes mobiles et un réglage possible au demi-maillon près. Bien que “journien” à 100%, donc immédiatement reconnaissable, le cadran de cette première émanation de la LineSport, dont le nom de code est CTS, pour Centigraphe Sport, a lui aussi été taillé dans le même aluminium, est doté de compteur saphir et, pour la première fois, de chiffres lumineux. “C’est une montre sport, mais ça reste une Journe”, commente l’auteur.
Animant cette montre chronographe, on retrouve le Calibre 1506, mouvement chronographe à remontage manuel qui équipe le Centigraphe Souverain qui, comme son nom l’indique, affiche les centièmes de seconde grâce à une aiguille centrale accomplissant un tour de cadran en une seconde. Un mécanisme chronographe breveté pour sa configuration spécifique qui permet d’isoler la fonction chronographe du mouvement, donc de supprimer toute interférence entre amplitude du balancier et enclenchement ou déclenchement du chronographe. Le système dédié de poussoirs à bascule confère par ailleurs à la nouvelle CTS une touche supplémentaire de sportivité. Mais pour autant, François-Paul Journe n’entend pas capitaliser à outrance sur le sport, un secteur qu’il juge par ailleurs “bien encombré”. C’est plutôt autour du thème des “loisirs actifs” qu’il entend faire la promotion de son nouveau garde-temps en aluminium. Quoi qu’il en soit, cette première montre sport de FP Journe, portant le numéro 1, a été vendue récemment par Christie’s à Hong Kong au prix astronomique de 450’000.-US$, soit dix fois son prix. Il est vrai qu’il s’agissait d’une vente dont les bénéfices étaient destinés aux victimes japonaises du récent tsunami. Il n’empêche que c’est de bon augure pour la suite.
Universal Coordinated Time ≠ Greenwich Mean Time
Par ailleurs, François-Paul Journe a récemment présenté une autre innovation, l’Octa UTC. Basé sur le temps atomique international, le découpage horaire international UTC, pour Universal Coordinated Time, a remplacé depuis 1972 le précédent découpage, le fameux GMT, pour Greenwich Mean Time, basé sur la rotation terrestre. Les deux mesures du temps sont proches l’une de l’autre mais l’UTC offre “une découpe moderne des fuseaux divisés pour la majorité d’entre eux en heure pleine”. C’est cette découpe du temps universel qu’arbore l’Octa UTC sur son cadran, sous la forme d’un globe présentant les deux hémisphères divisés en zones vivement colorées. De part et d’autre d’un “0”, indiquant l’heure d’hiver, deux graduations +1/-1 permettent de positionner la région pour l’heure d’été selon que celle-ci se trouve à l’est ou à l’ouest du lieu géographique de base de l’utilisateur de la montre (comme ça, par écrit, l’affaire semble complexe mais à la manipulation, le réglage de la montre est fort simple).
Ce calibre FPJ 1300-3, un automatique à masse oscillante décentrée (et à remontage unidirectionnel doté d’un système de roulement à billes autobloquant permettant d’exploiter chaque mouvement du porteur), affiche aussi, outre le fuseau horaire 24h, une grande date à saut instantané, et une indication de réserve de marche rétrograde de plus de 5 jours (120h). Autre particularité, c’est un mouvement que Journe décrit comme “modulable”. Architecturalement, c’est en effet la plaque, d’une épaisseur d’un millimètre, qui tient le cadran qui maintient aussi les éléments exclusifs à ce modèle. A ne pas confondre avec une “plaque additionnelle”: il s’agit plus justement d’une sorte de “pont” qui, du côté mouvement maintient les engrenages et du côté cadran maintient les éléments nécessaires à l’affichage de la réserve de marche ou des ressorts du calendrier. C’est aussi grâce à elle que tous les mouvements “modulables” qui équipent l’intégralité de la collection Octa sont compatibles et peuvent être montés dans la même boîte, quels que soient leurs spécifications et leurs complications.
Loin d’être anecdotique, cette faculté est précisément à la source de ce qui fait de FPJourne une marque intemporelle. On l’a constaté encore récemment, en revoyant de visu l’ensemble de la collection de la manufacture genevoise. Sans aucune concession aux aléas des marchés ni aux surenchères stylistiques – et dieu sait si les turbulences et les fulgurances ont été nombreuses depuis la première montre à bracelet signée Journe en 1991, un Tourbillon Souverain qui figure toujours dans ses collections – François-Paul Journe n’a jamais dévié d’un iota. C’est ce qui fait aujourd’hui tout son prix.
Source: Europa Star Première Vol.13, No 4