Contrairement à bien d’autres maisons qui, à peine sorties de l’oeuf, annoncent à grands coups de trompettes avoir réalisé leur “calibre in-house” en un temps record, Hermès aura mis près de... 34 ans pour parvenir à cette étape décisive. Mais comme nous l’avons souligné à maintes reprises dans nos colonnes, cette lenteur d’Hermès est une vertu cardinale.
“La Montre Hermès” a été fondée en 1978 par Jean-Louis Dumas qui en fit le premier “Métier” de la maison familiale à être “délocalisé”, en Suisse, en l’occurrence, car il s’agissait de se trouver au coeur de l’horlogerie pour y acquérir pas à pas le savoir-faire nécessaire. Mais ce n’est pas à cette date qu’Hermès a fait ses premiers pas horlogers. Ceux-ci, on l’ignore souvent, remontent à bien plus loin, à près de 100 ans. Une fameuse photo datant des années vingt montre en effet la petite Jacqueline Hermès, grand-mère de Guillaume De Seynes qui pilota La Montre Hermès de 1999 à 2005 et qui en est aujourd’hui le Président, portant au poignet une petite montre de poche gainée de cuir et montée sur bracelet. Puis dans les années 30, Hermès a multiplié les collaborations horlogères avec les grandes maisons suisses (Jaeger-LeCoultre, IWC, Audemars Piguet, Cyma, Minerva, Universal Genève, entre autres) et a démontré une créativité assez extraordinaire, multipliant les innovations, à l’image des premiers bracelets interchangeables, des montres pour golfeur, ou encore de la célèbre Hermeto qui se remontait par coulisses.
A gauche: Jacqueline Hermès portant au poignet une petite montre de poche gainée de cuir et montée sur bracelet. A droite: Luc Perramond, CEO de La Montre Hermès.
Progressive montée en force du mécanique
A la création de La Montre Hermès, installée à Bienne, l’essentiel de l’activité horlogère d’Hermès consistait en montres féminines dont la plupart étaient animées de mouvements quartz. La progression et la montée en force de la montre mécanique s’est faite très progressivement et ce n’est qu’en 2006 qu’un pas décisif a été accompli avec la prise de participation d’Hermès dans le capital de la Manufacture Vaucher (à hauteur de 25%). C’est à cette date qu’ont commencé les premiers travaux autour du projet de création d’un mouvement mécanique de base propre à Hermès.
“Nous avons mis trois ans de plus que ce que nous avions planifié”, explique Luc Perramond, CEO de La Montre Hermès depuis le début de 2009, “mais il s’agissait de proposer un calibre de base qui soit non seulement très performant, mais aussi totalement fiabilisé. Nous n’avons guère l’habitude, chez Hermès, de lancer des produits qui ne soient pas intégralement finalisés et éprouvés.”
Le H 1837
Ce calibre, qui porte le nom de H 1837 (soit la date de la fondation d’Hermès qui fête cette année ses 175 ans) a été conçu en collaboration avec Vaucher Manufacture pour être un calibre de base, un “tracteur”, à partir duquel va se développer une famille entière de nouveaux calibres. C’est un calibre 11/½ ’’’ lignes, soit un diamètre de 26,6 mm pour une épaisseur de 3,70 mm, doté d’un double barillet, qui tourne à 4 Hz (28 800 alternances / heure) et qui est doté d’une réserve de marche de 50 heures.
“Sur la base de nos premiers développements, nous avons apporté une série d’améliorations décisives”, explique Luc Perramond. “nous avons ainsi légèrement renforcé l’épaisseur du calibre, des 3,50 mm de départ à 3,70 mm pour lui donner une plus grande rigidité et donc fiabilité. Nous avons conçu un nouveau système de remontage, amélioré la masse oscillante, revu les points d’ancrage du mouvement et poussé ses spécifications pour qu’il obtienne le certificat Chronofiable, ce qui est aujourd’hui le cas.”
Sur cette base intégralement autonome, dont tous les composants sont “manufacture” y compris l’organe réglant et le spiral Atokalpa, Hermès entend développer graduellement de petites complications, voire même de grandes complications ainsi qu’un mouvement chronographe, afin de pouvoir offrir une gamme complète de garde-temps manufacture. Ces complications ne seront pas intégrées mais montées par plaques additionnelles.
En Dressage
Pour sa première sortie en ville, le H 1837 vient équiper un nouveau garde-temps de la collection Dressage, le “5ème pilier horloger de la maison”, dessiné en 2003 par Henri Dorigny.
Pour l’occasion, le modèle de 40 mm a été redessiné. Plus galbé qu’auparavant, son ouverture a été retravaillée et sa lunette a été élargie jusqu’à toucher le bord supérieur des cornes très caractéristiques de la Dressage qui ont conservé leur ligne mais ont été légèrement adoucies. Le cadran a lui aussi été redessiné, guilloché dans un esprit de classicisme horloger, mais a gardé ses grands chiffres cerclés si caractéristiques. Au dos, l’architecture du mouvement, d’un très grand classicisme, avec ses finitions particulières dont le très reconnaissable semis de “H”, peut se voir à travers une glace saphir.
Deux versions sont disponibles, sur cadran argent ou noir, l’une avec calendrier et l’autre avec petite seconde à 6h. La version acier de cette Dressage 1837, qui existe aussi sur bracelet métal intégré, est offerte au prix de 8’000.- euros. Une version en or rose avec cadran argenté et petite seconde est aussi disponible. Une série spéciale de 175 exemplaires en or rose sera aussi éditée pour fêter les 175 ans de la marque.
Affirmation horlogère
La nouvelle Dressage est un élément-clé dans la stratégie globale d’Hermès en termes d’autonomie et d’affirmation horlogère progressive – qui a connu un coup de projecteur extraordinaire l’année dernière avec Le Temps Suspendu, une montre emblématique qui a permis à Hermès de définir avec grande force son territoire horloger et poétique bien particulier, voire unique en son genre (et qui, selon une indiscrétion, pourrait fort bien sortir en version féminine). Au-delà, c’est aussi un pas de plus dans l’effort de masculinisation de son offre horlogère, avec un mix qui aujourd’hui s’établit à 40% Homme (contre 20% il y a seulement 3 ans) et à 33% de montres mécaniques. “L’intégralité de notre offre mécanique a été améliorée”, explique Luc Perramond, “avec une entrée de gamme qui avoisine les 3’000.- euros dans la collection Arceau, ou avec le chronographe Clipper équipé de mouvements Valjoux. Notre prix moyen a ainsi progressé partout dans le monde, et ce très rapidement, avec un prix moyen de 2’600.- euros, voire 4’000.- euros en ce qui concerne l’Asie.”
Ce territoire horloger, Hermès entend bien l’affirmer fortement à travers sa distribution. Une distribution particulière qui est constituée de trois étages différents: un réseau de détaillants spécialisés, qui compte environ 700 points de vente, les boutiques Hermès multi-métiers, qui sont 325 dans le monde et, création récente puisqu’elle a moins de 3 ans, un réseau spécifique de boutiques Hermès exclusivement dédiées à l’horlogerie. “Ce sont des espaces de 50m2 à 100m2, qui ont tous les codes Hermès mais qui sont spécialisées en horlogerie. C’est très important pour nous car nous pouvons y présenter l’ensemble de notre univers horloger, mécanique, masculin et féminin, métiers d’art, joaillerie, etc... Nous souffrions encore d’un manque de notoriété spécifiquement horlogère et ces boutiques sont là aussi pour démontrer le contraire et exposer la substance véritablement horlogère de notre offre, présentée par un personnel particulièrement bien formé. Nous avons initié ce nouveau concept en Asie dès 2009, avec 8 boutiques en Chine, une à Taipei, deux à Singapour, une à Kuala-Lumpur, une à Paris (aux Galeries Lafayette) mais nous allons l’étendre à d’autres régions du monde, notamment les USA, auxquels je crois beaucoup, ou encore Dubai, Moscou, jusqu’à atteindre environ une trentaine de ces boutiques horlogères.”
Dans ce dispositif destiné à épauler la stratégie de valeur, et non plus de volume, qui est désormais celle d’Hermès, nul doute que le nouveau mouvement manufacture H 1837 jouera le rôle de pilier central.
Source: Europa Star Première Vol.14, No 2